On n’a pas fini de faire le saut au supermarché en voyant les prix. Après une année d’inflation record, le coût du panier devrait encore bondir de 5 à 7 %, en 2023. Pour une famille de quatre personnes comptant deux adolescents, la facture pourrait ainsi grimper de 1066 $ pour atteindre 16 288 $.

Ces chiffres ont de quoi faire frémir.

Mais on aurait tort de les qualifier d’emblée d’exagérés. La prédiction provient du Rapport sur les prix alimentaires canadiens dévoilé ce lundi et rédigé par des experts des universités Guelph, Dalhousie, de Saskatchewan et de Colombie-Britannique. Leur historique parle de lui-même.

« On s’est trompés deux fois en 12 ans et les deux fois, on avait sous-estimé l’inflation », m’indique l’un des auteurs, le directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois.

L’an dernier, le groupe prévoyait une hausse de 7 % du prix du panier, ce qui avait été jugé « alarmiste » par certains. Or, l’inflation alimentaire a dépassé la barre des 10 % au pays. Au Québec, on frôle même les 11 %.

Grosso modo, chacun d’entre nous devra donc débourser 4000 $ pour se nourrir, l’an prochain. La facture sera un peu plus élevée pour les adolescents qui grandissent à vue d’œil, un peu moins pour les aînés et les femmes. Voyez quelques exemples.

Aucune catégorie d’aliments ne sera épargnée par l’inflation. Légumes, produits laitiers, viande et produits de boulangerie pourraient tous bondir de 5 à 7 %. Les fruits et les fruits de mer bénéficient d’une prédiction légèrement plus basse.

La bonne nouvelle, c’est qu’un répit pourrait survenir en deuxième moitié d’année, avance Sylvain Charlebois. Mais au cours des six premiers mois de 2023, on aura l’impression de faire nos courses dans Le jour de la marmotte.

L’autre nouvelle encourageante pour les Québécois, c’est que le prix de leur panier ne subira pas une flambée supérieure à la moyenne nationale comme ce fut le cas en 2022, croient les auteurs du rapport.

Comme on pouvait s’y attendre, tous les facteurs qui contribuent depuis des mois à alourdir la facture ne disparaîtront pas : changements climatiques, coût des intrants (engrais, moulée, etc.), coût du transport, faiblesse relative du dollar canadien, problèmes dans la chaîne d’approvisionnement, guerre en Ukraine… la liste est longue.

Tout cela peut sembler loin et flou, mais pour bon nombre de ménages, les conséquences sur le quotidien seront très concrètes. En fait, bien des consommateurs ont déjà changé leurs habitudes pour économiser dans un contexte où les salaires augmentent moins vite que l’inflation et où les taux d’intérêt bondissent : changer d’épicerie, réduire ses achats de viande, manger moins, courir les soldes, préférer les marques maison, cuisiner plus, sauter des repas.

L’adaptation devra, de toute évidence, continuer.

Le problème, c’est que ça devient de plus en plus difficile d’étirer son budget. Ce n’est pas pour rien que le recours aux banques alimentaires a explosé. Elles accueillent d’ailleurs de plus en plus de familles dont les deux parents travaillent.

La brutale inflation alimentaire qui frappe le Canada sépare les consommateurs en deux groupes, remarque Sylvain Charlebois. « Il y a 75 % de la population qui gère l’inflation comme elle le peut, en changeant ses habitudes. Et il y a l’autre 25 % dont la qualité de vie a changé. C’est un 25 % silencieux qui souffre et ça nous inquiète beaucoup. »

Il ne faut pas oublier que les impacts de la hausse du prix du panier d’épicerie ne sont pas seulement économiques. Ça provoque aussi beaucoup d’angoisse et de stress. Un sondage réalisé par Léger pour Centraide cet automne révélait que 42 % des Québécois vivent de l’anxiété financière à un niveau modéré, sévère ou extrême. Après la pandémie, qui a mis notre santé mentale collective à rude épreuve, l’inflation ajoute son grain de sel. Un gros grain.

Sans doute faudra-t-il s’habituer à traverser des « cycles beaucoup plus violents dans les prochaines années », croit Sylvain Charlebois. Ne serait-ce qu’en raison des changements climatiques. Mais entre deux tempêtes, on devrait revoir des niveaux d’inflation normaux — entre 1,5 et 2,5 % — dans un horizon pas si lointain.

« Si je comparais notre tempête alimentaire à un marathon, je dirais qu’on est rendu au fameux mur que les coureurs frappent au 32kilomètre. Après les Fêtes, on va le dépasser et là, on va voir la lumière au bout du tunnel. »

Espérons seulement qu’on n’est pas en train de courir un ultramarathon de 100 kilomètres sans le savoir.