Un troupeau de vaches bien dociles
Vivent serrées dans leur enclos.
Jour après jour, elles font la file
Et donnent du lait dans le gros pot.

L’une d’entre elles rumine l’envie
De s’évader, changer de vie,
Être libre comme les oiseaux
Et dévaler tous les coteaux.

— Pauvre folle, lui dit sa mère,
D’autres avant toi ont essayé,
Et très vite on les récupère
Avant d’en faire du steak haché. »

La rebelle ne se laisse pas démonter.
Elle réplique à toute l’assemblée :
— Si ces malheureuses n’ont pas réussi,
C’est qu’elles ont tenté seules leur pari.
La liberté, on ne peut la gagner
Que dans un mouvement de solidarité.
Je ne veux pas me sauver de vous,
Je veux me sauver avec vous.
Toutes pour une et une pour toutes !
Suivez-moi jusqu’au boute ! 

Et joignant le geste à la parlure,
D’un bond, elle saute la clôture.
Enflammé par ces inspirants propos,
Saute avec elle tout le troupeau.

Elles sont une vingtaine dans la clairière
À faire la ferme buissonnière,
Se cachant durant la journée
Et festoyant la nuit tombée.

Cela dure des semaines, puis des mois,
Elles-mêmes n’en reviennent pas :
— Comment se fait-il que les humains,
Avec tous leurs gros machins,
N’arrivent pas à nous rattraper ?
La rebelle l’a bien expliqué :
— Pour réussir, il faut se coordonner ;
Pour ça, les humains sont bons derniers.

Et elles gambadent ! Et elles gambadent !
Devenant les vedettes de la société,
À Tout le monde en parle elles sont invitées,
Mais elles craignent d’être piégées.

Elles se retrouvent dans un boisé
Pas loin des routes asphaltées.
Un gracieux cerf s’approche d’elles :
— Êtes-vous les vaches errantes de Saint-Barnabé ? 
Elles répondent « meuh » et font les belles.
— Bienvenue au parc Michel-Chartrand,
Le père des insoumis en sacrament ! 

Le cerf poursuit, l’air inquiété :
— Qu’allez-vous faire durant l’hiver ?
Comment passerez-vous au travers ?
— Nous ferons comme toi, l’ami le cerf :
On fouille les bois et on se sert.

— Je ne veux pas vous faire peur,
Mais la liberté, ce n’est pas toujours le bonheur.
Prenez-moi : ils veulent me chasser,
Avec une flèche me transpercer.

— Mais pourquoi tant de cruauté
Envers un Bambi si bien élevé ?
— Parce que je ne leur rapporte rien,
Alors ils ne veulent pas mon bien.
Si, vous, ils veulent vous rapatrier,
Ce n’est pas pour vos beaux grands yeux de vaches
Ni pour l’agencement de vos taches,
C’est parce que du lait vous leur donnez.
Il en est ainsi pour les êtres et les bêtes, ici :
Notre seule valeur est celle que l’on rapporte aux autres.
Point de profit, point de belle vie. 

Les vaches sont très secouées
Par autant de lucidité.
Continueront-elles de cavaler
Au risque de trépasser ?
Ou retourneront-elles dans l’enclos
Être des numéros ?

La morale de cette histoire :
Allez savoir…