Il paraît qu’il y aurait un « ressac », cinq ans après la vague de dénonciations #metoo. Que des vents contraires souffleraient.

Ce n’est pas ce que j’observe, et le meilleur exemple est le verdict de culpabilité prononcé contre l’ex-député Harold LeBel cette semaine à Rimouski.

Cette affaire est exactement du genre de celles qui, hier encore, ne donnaient lieu à aucune accusation criminelle. Et si par impossible une accusation était portée, le doute raisonnable la balayait généralement.

On aurait insisté sur l’ambiguïté de la situation : une jeune femme va coucher dans l’appartement du député. Accepte de dormir à ses côtés après qu’il a tenté de l’embrasser. Reste « figée » pendant qu’il lui fait des attouchements sexuels. Ne tente pas de fuir ou de s’enfermer dans la salle de bains. Porte plainte trois ans plus tard.

Bref, tous les stéréotypes utilisés depuis toujours pour attaquer la crédibilité des victimes d’agression sexuelle et semer le doute étaient à portée de la main.

Ça fonctionnait à fond, et pour avoir passé les années 1990 dans les palais de justice, je suis à peu près convaincu qu’il n’y aurait pas eu de condamnation dans une affaire semblable.

Ajoutons que l’accusé est un député, et pas des moindres. Très populaire à l’Assemblée nationale comme au Parti québécois à l’époque, affable, sympathique. Le voici, par choix, devant ses concitoyens de Rimouski.

Il n’y a pas si longtemps, on aurait entendu des arguments d’autorité du genre : « Voire si un homme comme M. LeBel irait risquer sa réputation par des agissements semblables ! »

Et ça marchait souvent.

Ce qu’on voyait surtout, c’était une sorte de renversement des rôles, où la moralité de la plaignante était remise en question et utilisée pour « annuler » toute prétention d’agression.

De manière plus ou moins subtile, et souvent pas du tout, on disait que la victime avait été provocante, avait consenti implicitement, avait accepté la suite sexuelle des choses. D’ailleurs, elle ne portait pas de marque de violence… En plus, elle a pris trois ans pour aller voir la police !

Tous ces faux raisonnements, toute cette quincaillerie rouillée d’avocats de la défense ne fonctionnent plus.

Le témoignage très simple, très franc d’une femme qui explique son incapacité de se défendre face à un colosse qui la tripote dans un lit, sa peur, son sentiment d’être piégée, puis son immense hésitation à porter plainte : tout ça n’est plus jugé d’office « invraisemblable ». Au contraire, la discussion publique sur les agressions et les inconduites sexuelles, les nombreuses prises de parole de victimes ont montré comme très « normaux » des comportements souvent jugés suspects ou incompréhensibles.

Je ne suis pas en train de dire que dans un système judiciaire vraiment juste, toutes les accusations devraient nécessairement donner lieu à une condamnation. Ou qu’une condamnation est forcément la « preuve » du bon fonctionnement du système. Les systèmes où l’État gagne tous les procès ne sont évidemment pas des démocraties libérales.

Je ne dis pas non plus que la voie judiciaire est la seule pour les victimes d’agressions ou d’inconduites. C’est entre autres parce que le mouvement #moiaussi (et d’autres bien avant lui) a libéré la parole des victimes dans les médias et dans l’espace public que la discussion a progressé, et que le système judiciaire se met à jour. Ce n’est cependant pas participer à un « ressac » contre les victimes que d’en identifier les limites et les périls. Le slogan « On vous croit » ne fait pas que rendre justice aux victimes silencieuses. Pris littéralement, il interdit toute vérification, toute remise en question, bref, il ouvre aussi la porte aux fausses accusations et à d’autres injustices. Il ne faut pas avoir fréquenté beaucoup les salles d’audience pour s’imaginer que les témoins sont systématiquement angéliques, disent toujours la vérité, ne se trompent jamais, n’exagèrent pas et sont animés toujours par de bons sentiments.

On en revient donc fatalement et fondamentalement à la nécessité d’un système de justice dans lequel les victimes peuvent croire qu’elles seront entendues respectueusement. Et où les droits des accusés sont protégés.

Et ce que je lis dans le verdict de l’affaire LeBel, c’est que notre système a progressé dans la bonne direction.

Que le bruit ambiant des préjugés a radicalement diminué dans le raisonnement judiciaire. Que l’on entend plus clairement les témoignages des plaignantes pour ce qu’ils sont.

Cette femme a tout simplement présenté un récit crédible des faits, que des textos embarrassés de l’accusé semblaient confirmer. C’est au contraire la version de l’accusé qui ne tenait pas la route, au point de ne pas même soulever un doute raisonnable.

Si l’on voulait mesurer le chemin parcouru dans le monde judiciaire depuis 40 ans en matière de crimes sexuels, il faudrait prendre ce procès comme point de comparaison. En ce sens, il a un aspect symbolique.