Cette semaine, pour combattre la corruption et le gangstérisme en Haïti, le Canada a imposé de nouvelles sanctions, cette fois à des personnalités politiques de ce pays. La situation en Haïti est d’une immense tristesse. D’ici, on a l’impression que cette île de beauté est condamnée à continuer à s’enfoncer dans la misère. Mais il y a quelque chose que le Québec pourrait faire.

Même s’il n’a pas tous les outils dans son arsenal diplomatique1, il peut construire une relation profonde, sérieuse, solide avec Haïti, une relation qui est dans notre intérêt à bien des égards. Évidemment, nous agissons déjà beaucoup, nous avons des programmes, de nombreux partenariats, des groupes très mobilisés, mais rien qui ne ressemble à un grand chantier national. Haïti mérite pareil chantier à cause de l’ampleur de ses souffrances, mais aussi grâce à ce qu’il représente pour nous.

Haïti est le seul autre État francophone des Amériques. Sa culture est immensément riche.

Nombre de Québécois, dont un immortel (ce qui n’est pas rien), en sont issus2.

Haïti est un des pays les plus pauvres du monde. Le Québec, lui, possède une des économies les plus riches du monde. Cela nous donne une responsabilité.

Mais comment aider ?

La Nouvelle-Zélande est considérée comme une grande puissance dans plusieurs pays du Pacifique. Le secret de cet État de 5 millions d’habitants ? Il met en priorité son action internationale et concentre son aide sur certains pays prioritaires.

Le Québec pourrait s’inspirer de ce modèle.

Il faudrait d’abord inscrire Haïti dans nos priorités internationales. De plus, la politique internationale actuelle du Québec est tournée essentiellement vers l’économie, nous pratiquons presque uniquement de la diplomatie de démarchage économique. Nous pouvons faire mieux.

Pour réussir, il y aurait quelques principes incontournables à respecter.

D’abord se dire que le plus grand des voyages commence par un pas. Il faudrait accepter de s’investir à très long terme. Dépasser la simple aide économique. Mobiliser toutes les ressources de la nation : société civile, cégeps, universités, entreprises, municipalités. Sortir du modèle de relations de gouvernement à gouvernement. Accepter que le gouvernement du Québec coordonne les efforts de l’ensemble des partenaires, qu’il soit engagé au plus haut niveau politique, mais qu’il n’agisse pas seul.

Grâce notamment à la diaspora haïtienne, nous avons déjà des liens personnels, institutionnels, économiques, culturels assez intimes avec Haïti (c’est une des retombées positives de l’immigration). Ce sont des liens qui doivent absolument être mis à profit pour construire des ponts durables.

En réunissant toutes les parties intéressées par Haïti, quel que soit leur domaine d’action, nous pourrions réfléchir ensemble aux objectifs que le Québec pourrait se donner, aux ressources qu’il pourrait mobiliser, aux organisations haïtiennes qui seraient les plus appropriées comme partenaires.

Les organisations ainsi mobilisées pourraient, dans leurs domaines respectifs, établir des relations formelles avec leurs homologues haïtiens, et ce, en fonction d’objectifs communs. Ce genre de relation permet de créer des liens durables non pas uniquement entre les gouvernements, mais entre plusieurs acteurs de la société civile. De tels liens permettent de transcender les changements de gouvernement, de se protéger contre la corruption et, surtout, de mieux connaître la réalité sur le terrain pour que nos actions communes soient bien ciblées.

Nous devrions aussi n’avoir qu’un petit nombre de champs d’action. Voici deux exemples de ce qu’ils pourraient être.

Nous pourrions aider Haïti à consolider son secteur de l’économie sociale. Le Québec est une force mondiale en la matière. Des gens de partout dans le monde s’inspirent de nos pratiques. Les entreprises d’économie sociale sont des propriétés collectives et enracinées dans les communautés locales. Elles ne dépendent pas de subventions et sont, en général, beaucoup plus durables que les entreprises traditionnelles, car leur ancrage les met en partie à l’abri des aléas de l’économie.

Autre exemple. En développement international, bien des organismes donateurs favorisent les investissements qui permettent de consolider ce qu’ils appellent les pouvoirs locaux, donc les municipalités ou, en Haïti, les collectivités territoriales. Le pari derrière ce choix est de s’éloigner des acteurs nationaux pour consolider l’action à l’échelle des communautés locales. Nous avons toute l’expertise nécessaire dans nos villes, comme à l’Union des municipalités du Québec.

Et le fédéral, dans tout ça ? Selon la doctrine Gérin-Lajoie, le Québec peut établir des relations internationales dans les domaines de compétence qui sont les siens. C’est par exemple sur la base de ce principe qu’il siège à la Francophonie ou encore à l’UNESCO, un organisme de l’ONU qui traite d’éducation. Les voies de passage existent pour aider Haïti.

Aider Haïti, c’est aider des frères et des sœurs. Aider Haïti, c’est aider plus pauvres que nous. Aider Haïti, c’est aider la langue et la culture françaises.

Aider Haïti, c’est faire notre devoir, car en politique, porter l’espoir est un devoir.

1. L’art de l’impossible – La diplomatie québécoise depuis 1960, Claude Morin, 1987.
2. Dany Laferrière siège à l’Académie française. Surnommés « les immortels », les académiciens doivent ce surnom à leur devise : À l’immortalité.