La nouvelle est tombée mardi en milieu d’après-midi comme une tonne de briques rouges percutant un morceau de métal. Une explosion en Pologne, possiblement causée par des missiles russes, aurait fait deux morts.

Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, j’ai senti mon sang se glacer dans mes veines. Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine et de l’escalade des tensions entre le pays de Vladimir Poutine et les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), je ne pense pas exagérer en disant que nous sommes des dizaines de millions à porter en nous une crainte sourde : celle de voir le conflit ukraino-russe se déverser en Europe. Dans la cour d’un membre de l’OTAN.

Les conséquences d’une telle éventualité sont connues. Si elle est attaquée, la Pologne est en droit d’invoquer l’article 5 du traité de Washington et d’appeler à la rescousse les 29 autres pays membres de l’alliance.

C’est tout l’engrenage d’une immense machine militaire, s’étendant de la Californie à la frontière de l’Ukraine, qui se mettrait en branle.

En d’autres termes, ce serait le début d’une troisième guerre mondiale en Europe en un peu plus de 100 ans. Et le Canada serait – selon toute vraisemblance – partie prenante.

Heureusement, nous ne semblons pas avoir encore les deux pieds dans ce scénario catastrophe. Malheureusement, nous en avons déjà un.

Mardi, c’est au compte-gouttes qu’on en apprenait plus sur l’incident polonais. C’est une installation agricole dans le village de Przewodow, une bourgade de 413 âmes à moins de 10 kilomètres de la frontière de l’Ukraine, qui a été happée. Pas exactement une cible stratégique près de Varsovie.

Accident ? Geste délibéré ? Dommages collatéraux du système antimissile ukrainien ? Au moment d’écrire ces lignes, les autorités polonaises évitaient de sauter aux conclusions. Si ces dernières affirmaient que des « projectiles d’origine russe » étaient responsables de l’incident qui a tué deux civils, le président du pays, Andrzej Duda, en conférence de presse au beau milieu de la nuit, a dit qu’il « n’y a pas de preuves concluantes permettant d’établir qui a lancé ce missile ». Le premier ministre Mateusz Morawiecki a pour sa part appelé la population au calme. Dans une heure de grande tension, la prudence est la meilleure musique de fond.

Et c’est aussi sur cet air de retenue que le président américain, Joe Biden, a affirmé, à partir de Bali, qu’il est « improbable que le missile ait été tiré depuis la Russie ».

En ce mercredi, les ambassadeurs de l’OTAN se réuniront à Bruxelles pour discuter de l’incident, pendant que plusieurs chefs d’État de l’alliance militaire auront le loisir de se parler en marge du sommet du G20.

Quoi qu’il advienne de l’enquête polonaise, on ne s’attend donc pas à ce que l’article 5 soit invoqué de sitôt. D’ailleurs, il faut rappeler qu’en 73 ans d’existence de l’OTAN, cette clause traitant de la défense collective n’a été invoquée qu’une seule fois. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

À l’époque, plus de deux semaines d’enquête avaient été nécessaires avant que les pays membres de l’OTAN décrètent par consensus que l’utilisation de l’article 5 était justifiée dans ce cas. On est loin d’un mécanisme au déclenchement automatique.

Rien n’est encore joué, donc, mais il ne faudrait pas laisser l’explosion en Pologne éclipser l’évènement le plus dérangeant de la journée de mardi – et non, je ne parle pas ici de Donald Trump qui a annoncé qu’il briguera la présidence américaine en 2024.

Mardi, les forces russes ont lancé quelque 100 missiles sur l’Ukraine dans leur plus grande tentative de sabotage du réseau électrique du pays à ce jour. Si 70 de ces missiles ont été interceptés par le système de défense aérienne, d’autres ont pu faire des dégâts. L’un d’eux a percuté un édifice résidentiel au milieu de Kyiv, tuant au moins une personne.

Cette pluie de missiles vient s’ajouter à d’autres bombardements qui ont permis à la Russie d’anéantir plus de 40 % des infrastructures civiles de l’Ukraine au cours des dernières semaines.

Dans la ville de Kherson, tout juste désertée par les forces russes, les autorités redoublent d’ardeur pour rétablir l’eau, l’électricité et les communications.

Avec l’arrivée du Général Hiver, un des plus grands alliés militaires historiques de la Russie, des pénuries de services essentiels pourraient rapidement se transformer en désastre humanitaire. En pièges se refermant sur la population civile, et ce, malgré les efforts de reconstruction déjà en cours.

L’Union européenne, qui compte déjà quelque 5 millions de réfugiés ukrainiens sur son territoire en ce moment, pourrait voir ce chiffre grimper en flèche maintenant que les températures plongent au-dessous de zéro. Et ce, alors que plusieurs pays européens peinent à s’alimenter en gaz et en énergie depuis le début de la guerre et de l’imposition de sanctions à la Russie. Dans ces circonstances, il est évident que l’arrivée massive d’Ukrainiens devant se mettre à l’abri pourrait devenir source de tensions et de divisions. Au sein de l’Europe, mais aussi au sein de l’OTAN.

Vladimir Poutine parie plusieurs centaines de missiles là-dessus.