Vous n’avez pas compris le débat sur les transferts en santé ? C’est correct. Ce n’était pas censé être clair.

Justin Trudeau et François Legault ont repoussé cette semaine les limites de la logique.

« Si un gouvernement [envoie] des chèques aux citoyens plutôt que d’investir dans le système de santé, c’est un choix qu’il va falloir justifier aux citoyens. Nous, on va être là pour aider avec le système de santé », a dit M. Trudeau.

Selon le chef libéral, les provinces auraient tort de baisser leurs impôts au lieu d’investir en santé. Il convient ainsi que le financement actuel est insuffisant.

Or, il en est en partie responsable. La hausse du « transfert canadien en matière de santé » est inférieure à celle des dépenses en santé des provinces. Année après année, la part payée par Ottawa diminue. Par conséquent, le fardeau des provinces s’alourdit.

Même si M. Trudeau n’exclut pas de bonifier le transfert, il ne s’engage pas à ce que cette augmentation suive celle des coûts.

En résumé, M. Trudeau dit aux provinces : il manque d’argent, on sera là pour vous, mais faites votre part et faites la nôtre aussi, un peu au moins…

C’est ici que François Legault vient malgré lui à la rescousse du fédéral.

D’un côté, il déplore avec raison le fait que le choc démographique alourdira les dépenses en santé. Mais de l’autre, il fait la démonstration que le Québec ne manque pas d’argent. Durant la dernière campagne électorale, il a promis la « plus importante baisse d’impôt de l’histoire du Québec⁠1 ». L’année prochaine, le taux d’imposition des deux premiers paliers diminuera de 1 point de pourcentage. Ceux qui en profiteront le plus sont les contribuables gagnant 92 500 $ et plus.

Cette baisse se poursuivrait graduellement pour atteindre 2,5 points de pourcentage en 2032.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault pourrait répliquer que l’argent proviendrait en partie d’une réduction des versements au Fonds des générations et que les Québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord.

N’empêche qu’il affaiblit bel et bien sa position face à Ottawa. Cette mesure s’ajoute à la baisse du fardeau fiscal de 3 milliards par année durant le premier mandat caquiste et aux trois « chèques » non récurrents envoyés en 2022 pour atténuer les effets de l’inflation, qui coûteront près de 7 milliards à l’État cette année.

M. Trudeau aura beau jeu de lui dire : si vous manquez d’argent, pourquoi en redonnez-vous autant ?

Il veut aussi en faire un débat de gestion. Il laisse entendre que les provinces administrent mal les soins de santé et que leur envoyer un chèque ne les inciterait pas à la discipline fiscale. Dans les deux cas, il n’a pas tort. Mais il est très mal placé pour parler.

Après tout, c’est son gouvernement qui a enchaîné les déficits inutiles durant son premier mandat majoritaire, en pleine croissance économique. Et avec le fiasco des bureaux de passeport, il n’a pas montré un grand talent pour l’efficacité…

Au-delà de cette guerre de mots, le constat est clair : plus le temps passe, plus l’argent manquera.

Selon le Conference Board⁠2, les dépenses en santé grimperont en moyenne de 5,4 % par année d’ici 2030, de 5,2 % durant la décennie suivante.

Les transferts fédéraux en santé ne suivront pas ce rythme. Durant son dernier mandat, Stephen Harper avait modifié la formule. Elle est en vigueur depuis 2017. La hausse des transferts équivaut depuis à celle du PIB nominal (qui comprend l’inflation), avec un plancher de 3 %.

Selon les chercheurs du CIRANO⁠3, le transfert canadien croîtra en moyenne de 3,3 % durant la prochaine décennie.

Conclusion : le fédéral paiera de moins en moins.

De 2006 à 2019, le fédéral remboursait près de 15 % des dépenses en santé. Si rien ne change, cette proportion baissera à 11 % en 2040. Mais si les provinces obtiennent ce qu’elles demandent, ce taux bondirait à 18 %.

Il y a sûrement moyen de trouver un compromis entre 11 % et 18 %. Un juste milieu qui maintiendrait l’équilibre actuel.

Et les Canadiens seraient d’accord, à en juger par un sondage coréalisé l’hiver dernier par l’Institut de recherche en politiques publiques⁠4.

Les résultats étonnent.

Pas moins de 78 % des sondés sont favorables à une accélération de la hausse du transfert fédéral. Même si cet appui est plus élevé au Québec (82 %), l’écart est modeste.

Dans l’ensemble du pays, le soutien aux provinces reste fort même quand on précise que cela forcerait Ottawa à aggraver son déficit (61 %) ou à hausser les impôts (56 %).

Les électeurs libéraux y sont même encore plus favorables que la moyenne canadienne.

Reste toutefois à savoir à quel point c’est une priorité pour eux. M. Trudeau fait le pari que cela ne changera pas leurs intentions de vote. Et à en juger par son ton cassant, il doit en être très convaincu.

1. Lisez le résumé de la promesse caquiste de baisse d’impôt 2. Consultez le rapport du Conference Board réalisé pour les provinces et territoires 3. Consultez le rapport des experts du CIRANO 4. Lisez un compte rendu détaillé du sondage coréalisé par l’IRPP