D’ici fin décembre, partout au Québec, les conseils municipaux adopteront leur budget 2023. Voici deux idées contre-intuitives, des idées qui semblent aller à l’encontre du gros bon sens, mais des idées qui méritent réflexion.

La première : il n’y a pas de gras dans les villes.

La seconde : malgré l’inflation, c’est un bon moment pour taxer.

Il n’y a pas de gras

À chaque budget, il y a des élus qui ne parlent que de réduire les dépenses. C’est un positionnement politique facile, mais qui donne de plus en plus rarement de vrais résultats. En effet, « budget base zéro », « analyse ligne par ligne » sont des slogans dont l’impact en communication est plus grand que l’impact financier. Pourquoi ?

Avec les années, les villes ont diversifié leurs champs d’action, se sont fait transférer de nouvelles responsabilités, mais leurs revenus fiscaux n’ont pas changé. Elles ont donc été obligées de remettre en question leurs façons de faire, d’essayer de faire plus avec moins… donc de se débarrasser du « gras », chose maintenant assez rare. Évidemment, il y a des exceptions, les villes ne sont pas toutes pareilles, mais en règle générale, de nos jours, si une ville veut réduire ses dépenses de façon significative, elle doit carrément couper dans ses services.

L’exemple le plus spectaculaire de cette réalité est certainement celui de Toronto. En 2011, l’ancien maire Rob Ford voulait supprimer 17 000 employés, évidemment sans réduire les services, disait-il. Un rapport, commandé par M. Ford à KPMG, était arrivé à la conclusion que la Ville avait étiré son budget pour offrir de nombreux nouveaux services. Conclusion : sur le milliard de dollars dépensés dans le secteur des travaux publics, la plus grosse dépense d’une ville, de 10 à 15 millions seulement étaient considérés comme du « gras ». Pour faire des économies significatives, KPMG affirmait qu’il fallait supprimer des services en entier, par exemple, mettre un frein à une partie de la politique de recyclage, retourner à l’enfouissement ou encore réduire la qualité du déneigement1 !

Réduire les dépenses sans que ça fasse mal est un mythe, en plus d’être, bien souvent, une mauvaise décision pour la qualité de vie des citoyens. C’est donc du côté des revenus qu’il faut regarder.

En matière de revenus, la vraie solution est bien sûr une réforme en profondeur de la fiscalité municipale. Il faudra bien un jour que les revenus des villes correspondent à leurs responsabilités. Malheureusement, l’appétit pour une telle réforme n’est pas grand à Québec. En attendant que nous trouvions collectivement le courage d’agir, la taxation actuelle doit donc être mise à profit.

Contexte

Les villes sont habituées à adopter des hausses de taxes de 2 ou 3 %. Elles font face aujourd’hui à une inflation à 8 %. Ne pas taxer à 8 % impliquerait, dans la plupart des cas, des compressions ou le report de projets d’infrastructures, deux mesures nuisibles pour l’économie, et ce, à l’aube d’une récession. Pour ajouter à leurs difficultés, les revenus associés aux transports en commun sont encore loin des niveaux prépandémie (métro à 66 %, autobus à 70 %, train de banlieue à 39 %), les villes devront donc éventuellement encaisser ces pertes. Avant la crise actuelle, elles étaient déjà aux prises avec un retard dans le développement de leurs bibliothèques, un retard dans la construction d’infrastructures sportives et un immense retard dans l’entretien des rues et des infrastructures souterraines (juste pour Gatineau, le déficit d’entretien est de 1,3 milliard). Bref, les finances municipales vont mal.

Pendant ce temps-là, l’inflation et le bas taux de chômage font gonfler les coffres des gouvernements à Québec comme à Ottawa : la TVQ, la TPS, la taxe sur l’essence et l’impôt sur le revenu rapportent gros, ce qui permet au gouvernement du Québec et au gouvernement fédéral de baisser les impôts sur le revenu. Bref, ça va très bien pour eux.

Malgré l’inflation, c’est le moment de taxer

On répète souvent que les taxes et impôts sortent toujours de la même poche. Parlons donc de cette fameuse poche. S’il faut tenir compte de l’ensemble des actions des trois ordres de gouvernement, on peut affirmer que, malgré l’inflation, c’est maintenant que les villes doivent taxer !

D’abord, il faut dire que la hausse moyenne des salaires au Québec cette année permet de contrer une part des effets de l’inflation, l’appauvrissement des Québécois est donc relatif2, 3.

Par ailleurs, si on additionne les réductions d’impôts du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral annoncées pour 2023, le chèque de 400 $ ou 600 $ qu’offrira bientôt le gouvernement du Québec aux contribuables, les 500 $ qu’il a accordés aux Québécois en mars dernier, une personne seule aura bientôt reçu directement ou économisé en impôt au strict minimum 1355 $, et un couple, 2648 $.

Voici maintenant à quoi équivaut une hausse de taxe de 8 % pour un compte de taxes moyen dans les villes suivantes (rappelez-vous que les villes n’offrent pas toutes les mêmes services) :

Montréal (1,8 million d’habitants) : 296 $

Québec (542 000 habitants) : 240 $

Saguenay (146 000 habitants) : 200 $

Saint-Augustin-de-Desmaures (18 000 habitants) : 288 $

Dégelis (3000 habitants) : 112 $

Si les villes haussent les taxes de 8 %, il restera donc amplement d’argent dans les poches des contribuables pour les aider à faire face à l’inflation.

Résumons. Ce qui respecterait le plus le contribuable serait de réformer la fiscalité municipale, ce qui n’est pas sur la table. Il y a très peu de gras à couper. Tous les services ont un coût. Il faut choisir lequel couper… ou taxer et se donner des moyens d’agir. Si on regarde les obligations des villes et ce qui se passe dans la poche du contribuable, taxer à l’inflation est une option tout à fait valable.

1. Lisez l'article « Toronto - Le remède au déficit du maire Ford: éliminer 17 000 emplois », sur le site du Devoir 2. Consultez le billet « Hausses salariales plus rapides que l’inflation : entre espoir, rattrapage et effet de structure » sur le site de l'IRIS 3. Lisez l'article « La Vérif : est-ce que les Québécois s’appauvrissent ? » sur le site de Radio-Canada