Nous avons un trio de ministres à la santé et aux services sociaux et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a un gros contrat devant lui : améliorer le réseau de la santé. Il y a, dans l’esprit qui animait la mise en place des CLSC il y a 50 ans, des principes dont il devrait s’inspirer.

Un peu d’histoire.

Au village, à Notre-Dame-de-la-Salette, on le surnommait « Pantoufle » parce que, dans la forêt, il était aussi silencieux qu’un chevreuil. Mon père m’a raconté que Pantoufle en avait même surpris un au repos, derrière un rocher, et qu’il avait réussi à le « récolter » armé de son seul couteau ! M. Mageau, de son vrai nom, était conducteur du minibus du CLSC Vallée-de-la-Lièvre, un CLSC qui avait vu le jour en 1975. Son travail consistait notamment à sillonner la vallée de la Lièvre pour amener des aînés à leurs rendez-vous médicaux.

Un jour de printemps, M. Mageau se présente dans le bureau du directeur du CLSC (mon père) et lui dit ceci : « Monsieur Jobin, j’ai quelque chose d’un peu spécial à vous demander. Les vieux que je transporte voudraient que je les emmène voir des chevreuils. Est-ce que je peux aller me stationner dans des champs de temps en temps pour en regarder ? » Mon père avait dit oui, au grand bonheur des aînés et de Pantoufle.

On imagine les vieux dans l’autobus qui regardaient les chevreuils en se racontant leurs plus belles chasses ou encore les vieilles raconter qu’une telle était la meilleure pour faire un cœur farci et qu’une autre n’aurait jamais osé faire cuire les « amourettes », plat succulent, paraît-il !

Mon père a toujours cru qu’aller voir les chevreuils faisait probablement plus de bien aux vieux que bien des rendez-vous chez le médecin.

C’est ce qu’on appelle de la prévention par l’action terrain.

Autre anecdote. Le maintien à domicile, à l’époque comme aujourd’hui, était la priorité exprimée par les aînés. Pour l’assurer, le CLSC a embauché de nombreuses auxiliaires familiales pour qu’elles fassent des visites à domicile. Ces femmes connaissaient la Vallée et ses habitants, et la gestion d’un foyer n’avait pas de secrets pour elles.

Elles ont rapidement constaté que ce qui répondait le plus aux besoins des usagers, même avant le ménage et les soins personnels, c’était la jasette, le contact humain. Elles en ont parlé au bureau, les organisateurs et les organisatrices communautaires du CLSC ont ensuite pris la relève et rapidement, des groupes d’entraide ont été formés. Ils ont organisé des soirées de discussions, soirées qui se sont transformées en journées de couture, en sorties en ville, en tournois de cartes, et j’en passe. Nombre d’organismes communautaires sont nés de cette action terrain et existent encore aujourd’hui.

C’est ce qu’on appelle une communauté qui se prend en main et qui se développe.

Beaucoup sont encore fidèles à l’esprit du CLSC, mais cette marge de manœuvre sur le terrain et ce sentiment d’appartenance à « son » CLSC sont aujourd’hui presque disparus.

Au fil des années, on a souvent transformé les usagers en « clients », le lobby des médecins, le curatif, a siphonné les ressources, les consultations individuelles ont pris le pas sur l’intervention collective. À travers des « programmes-cadres », le CLSC a été mis au service du ministère de la Santé plutôt qu’au service de sa communauté, et les immenses CISSS n’ont pu sauvegarder le sentiment d’appartenance locale.

Je ne sais pas si un retour à ce qu’étaient les CLSC est possible, je n’ai pas l’expertise pour en juger. Toutefois, je sais très bien que ce sont les organismes communautaires qui, aujourd’hui, sont au cœur de l’action quotidienne collée aux besoins des gens. Le ministre devrait les avoir constamment en tête.

Ce sont eux qui connaissent le mieux les gens, les collectivités et leurs besoins. Ce sont eux qui adaptent constamment leurs actions à la réalité sur le terrain, notamment en situation de crise. Ce sont eux qui mobilisent et qui défendent des droits. Ce sont eux qui aident le citoyen à se responsabiliser et à agir, seul ou en groupe, sur sa propre santé.

Le réseau n’améliorera pas sa première ligne s’il ne donne pas des moyens d’agir aux organismes communautaires locaux.

Dernier élément. Je sais, les organismes communautaires sont revendicateurs, militants, passionnés, habités de l’urgence d’aider, têtus, comme les artisans des CLSC de l’époque. L’arrimage entre eux et le réseau de la santé ne va donc pas de soi, et c’est pourquoi ce type de partenariat demande de l’expertise. Cette expertise se trouve dans la tête des organisatrices communautaires (à 75 % des femmes), des employées des CLSC. Ce sont des expertes terrain qui sont à la jonction de la société civile et des services publics. Elles devraient, elles aussi, être au cœur du renouveau du réseau.

Par l’intermédiaire des auxiliaires familiales exprimant les besoins des usagers, par celui de M. Mageau qui ramenait les aînés dans le temps, c’étaient toutes les communautés du Québec qui demandaient à l’État d’adapter ses actions aux réalités locales. Ce besoin fondamental existe encore, la réforme à venir devra y répondre.