Ça ne devrait pas être si facile.

Autant pour le serment au roi que pour la reconnaissance du statut de parti aux solidaires et aux péquistes, François Legault a le beau rôle. Il laisse Dominique Anglade déraper dans l’hyperpartisanerie et dans la défense enthousiaste de la monarchie britannique.

Le chef caquiste n’a même pas besoin d’une stratégie. Il savoure cette déconfiture libérale au ralenti. Quand le temps lui semblera venu, il tendra sa main charitable à ses rivaux.

Mais pour l’instant, il n’est pas pressé. Le spectacle est trop à son goût pour qu’il y mette fin.

Les solidaires et les péquistes ont récolté respectivement 15,43 % et 14,61 % des votes. Soit plus que les 14,37 % des libéraux. À cause des distorsions de notre mode de scrutin, les rouges ont toutefois obtenu 21 sièges, contre 11 pour les oranges et 3 pour les bleus.

Selon l’ancienne convention parlementaire, il faut 12 sièges ou 20 % des votes pour être reconnu à l’Assemblée nationale. Et donc pour avoir un budget et un temps de parole adéquats. Cette convention, qui date de l’ère du tripartisme, devrait être changée. Sinon, la voix de 1,35 million d’électeurs sera étouffée.

Après chaque élection, l’allocation des ressources parlementaires fait l’objet de négociations entre les partis. Rien d’anormal à ce que Mme Anglade défende ses intérêts. Mais elle va outrageusement loin. Elle veut écraser ses adversaires sans même dire ce qu’elle souhaite obtenir en contrepartie.

La cheffe libérale prétend utiliser ce dossier comme monnaie d’échange pour la réforme parlementaire. Elle compare des pommes avec des tondeuses.

Une telle réforme arrive une fois par génération. La dernière remonte aux années 1980. Ce vaste chantier prendrait des mois, voire des années à aboutir. Et les oppositions y jouent en équipe – elles réclament entre autres que les sociétés d’État et les sous-ministres rendent plus de comptes aux députés.

Tout cela n’a rien à voir avec la négociation sur le budget et le temps de parole des partis, une pratique normale qui suit chaque élection. Et dans ce cas-ci, c’est une urgence. Une entente doit être conclue avant que l’Assemblée nationale ne siège, le 29 novembre.

Le budget total est limité. M. Legault donnera probablement un peu de son budget aux péquistes et aux solidaires. Mais pour le temps de parole que se partagent les oppositions, Mme Anglade devra céder. Sa croisade antidémocratique ne peut pas durer.

Avec le serment à la monarchie aussi, M. Legault reçoit l’aide involontaire des libéraux.

En 2019, le solidaire Sol Zanetti avait déposé un projet de loi pour abolir cette sujétion coloniale. Le gouvernement caquiste a attendu jusqu’à la fin de mai 2022 avant de l’étudier. En vertu de la procédure parlementaire, puisque la session se terminait, le consentement unanime était requis. Les libéraux ont refusé. M. Legault a pu poser en nationaliste tout en laissant Mme Anglade porter l’odieux de la mort de cette réforme.

L’histoire pourrait se répéter. En reprenant les travaux de l’Assemblée nationale deux semaines plus tard que prévu, M. Legault fabrique à nouveau une urgence.

Après son discours inaugural et les débats obligatoires qui s’ensuivent, il resterait à peine une semaine pour étudier cette loi avant la pause de Noël. C’est trop peu pour en permettre l’étude détaillée.

Pour abréger ce processus, il y a deux solutions. La première : l’unanimité des partis. La deuxième : changer la loi en invoquant un « bâillon ». Mais je doute que M. Legault veuille aller jusque-là. Il préférera laisser les libéraux dire « non » à sa place.

Selon Paul St-Pierre Plamondon, en déposant lui-même une motion, le gouvernement pourrait laisser les députés siéger sans prêter serment au roi. Serait-ce légal ? Les juristes ne s’entendent pas. Mais il serait surprenant que le sergent d’armes bloque l’accès à ces élus. Et les tribunaux hésiteraient avant d’empêcher un élu de faire son travail parce qu’il ne se soumet pas au roi Charles III, qui est, entre autres, je le rappelle, gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre…

M. Legault prétend vouloir s’occuper des vraies affaires. Si c’était le cas, il ne reporterait pas le retour en chambre.

On devine une blessure d’orgueil… Des caquistes n’ont pas aimé devoir prêter serment à la monarchie. Si eux l’ont fait, les autres le doivent aussi, se disent-ils.

Leur plan initial était de laisser les péquistes être graduellement oublié dans les limbes parlementaires en attendant qu’une loi sur le serment soit adoptée. M. Legault aurait simulé un regret pendant que les libéraux s’en seraient presque réjouis, avec cet instinct autodestructeur devenu chez eux un réflexe.

Mais avec le refus des solidaires de prêter allégeance au roi, notre grande famille politique devra s’entendre. Car l’Assemblée ne peut pas fonctionner adéquatement sans la moitié des partis.

Le Parti québécois choisit l’affrontement, tandis que Québec solidaire prône une solution négociée. Mais sur le fond, ils cherchent la même chose : ne pas commencer leur mandat en disant l’exact contraire de ce qu’ils pensent. Comment le leur reprocher ?