Février 2022. La bande-annonce du film Elvis vient de sortir. Ça donne le goût. Après Bohemian Rhapsody racontant la vie et l’œuvre de Freddie Mercury et Rocket Man racontant celles d’Elton John, se plonger durant plus de deux heures dans la vie et l’œuvre d’Elvis Presley est une invitation très excitante. Un destin hors du commun et des tounes entraînantes. On y reconnaît la touche du réalisateur Baz Luhrmann, Moulin Rouge rencontre Memphis. Ça va être big ’stie ! comme dirait un imitateur du célèbre rocker.

Été 2022. Ça y est. Le film est sur les écrans. Le ton est donné dès le début. Après le logo de la Warner Brothers, on peut lire une devise sertie de pierres précieuses, comme les énormes ceintures du King, version Vegas : « Une vie vécue dans la peur est une vie vécue à moitié. »

Elvis n’est pas une comédie musicale. Elvis est un film de peur. Et l’épeurant méchant est le colonel Tom Parker, imprésario du chanteur, interprété par un Tom Hanks déformé. On dirait un personnage maléfique de Batman. Le Pingouin version fête foraine. Toute l’extraordinaire carrière du roi du rock’n’roll est livrée dans cette atmosphère glauque. À travers le regard d’un manipulateur dérangé. Même les scènes musicales sont chargées d’angoisse. Le défoulement exalté d’une star trop souvent étouffée et la folie hystérique d’une foule trop longtemps brimée.

Si vous pensiez vous déhancher sur Hound Dog ou Blue Suede Shoes, c’est pas ça. C’est votre cœur qui brasse, pas vos hanches. Elvis n’est pas un feel-good movie. C’est un feel-bad movie.

Vous pensiez en sortir crinqué, vous en sortez abattu. Presque déçu. Puis vous réalisez que ce sont vos attentes qui étaient décevantes. Qui n’avaient pas rapport. Comment pouvez-vous penser que l’histoire d’Elvis allait être tonifiante ? C’est Luhrmann qui a raison. L’histoire d’Elvis est toxique, tellement toxique qu’il en est mort. Et son film nous fait vivre sa vie qui est une mort lente.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX, VIA ASSOCIATED PRESS

Ana de Armas incarnant Marilyn Monroe dans Blonde

Quelques semaines plus tard, on apprend la sortie pour l’automne d’un film Netflix racontant le destin de Marilyn Monroe : Blonde, du réalisateur Andrew Dominik. Marilyn, le plus grand sexe-symbole de tous les temps. Un mythe éternel. On se dit que ça va être glamour, sensuel, hollywoodien. Et tragique, bien sûr, on n’est pas naïf à ce point-là, on connaît la fin.

Puis la vue apparaît sur notre écran et l’on s’aperçoit que Blonde n’est pas un film tragique, c’est un film hyper tragique. Intolérablement tragique. De la première seconde à la dernière. Pas un moment de répit.

L’art, l’amour et le succès ne changeront rien au parcours de Norma Jean. Ce sera toujours l’enfer pour cette enfant brisée, pour cette femme-enfant exploitée.

Vous regardez le film comme on regarde le malheur. Les yeux tristes, l’âme lourde. La direction photo est géniale, mais les belles images ne font que rendre plus laides les actions et les intentions. Vous vouliez voir la vie de Marilyn, on vous oblige à la vivre. Et ça fait mal. Dominik a réussi son travail. Vous faire ressentir la détresse de la star. C’est juste que c’est pas facile à gérer. Encore.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB IMDB

Austin Butler dans le film Elvis

Parce que Marilyn et Elvis font partie de nos vies depuis toujours. Ce sont deux cultes. De beauté et de célébrité. Elvis Presley était l’homme idéal du XXe siècle. Marilyn Monroe était la femme idéale du XXe siècle. On les enviait, en ayant tout faux.

Le bonheur, ce n’est pas d’être le plus beau. Le bonheur, ce n’est pas d’être la plus belle. Le bonheur, c’est d’être bien. Et Elvis n’était pas bien. Et Marilyn n’était bien.

Il faut cesser de croire que tout dépend de notre corps. Que plus il suscite l’envie, plus belle sera notre vie. Il faut travailler notre dedans, plus que notre dehors. C’est encore plus compliqué. Ce ne sont pas l’argent ni la gloire qui vont régler nos problèmes. C’est d’avoir des gens qu’on aime et qui nous aiment. Ça aussi, c’est plus compliqué. À trouver, mais surtout à déceler. Savoir apprécier les vrais, les sincères. Ceux avec qui il sera bon d’avancer.

Le cinéma devient de plus en plus le reflet du monde anxiogène dans lequel nous tentons de survivre. Joker, The Batman, Elvis, Blonde, autant de longs métrages populaires qui nous démontent, qui nous coulent. Avant, on regardait un film pour se distraire. Pour s’alléger. Maintenant, on va aux vues pour se ramener face à une réalité qu’on tente trop de fuir. Notre douleur intérieure. Le film fait un petit trou en nous, pour évacuer la pression. Au bout du compte, ça allège aussi, mais c’est plus éprouvant.

Si les films sur la vie d’Elvis et de Marilyn nous remuent autant, c’est parce qu’il s’agit du sort de deux inconnus devenus des étoiles, comptant beaucoup pour nous. À nous de nous en servir pour être plus sensibles au sort de tous les connus et inconnus, qui pourraient compter beaucoup plus pour nous.