J’ai pris la route de Québec dans l’espoir de rencontrer un membre influent de ce qui pourrait bien devenir, selon de nombreux analystes politiques, la véritable opposition du prochain gouvernement de François Legault.

Je ne me suis pas arrêtée au parlement. J’ai filé tout droit jusqu’à l’hôtel de ville, au cœur du Vieux-Québec.

C’est que, d’après ce qu’on dit, les caquistes rafleront une large majorité de sièges à l’Assemblée nationale. Les formations rivales se partageront les miettes. Alors, une opposition officieuse sera formée d’une nouvelle garde d’élus municipaux.

Des maires et des mairesses dont l’entrée en scène, l’an dernier, a fait souffler un vent de fraîcheur sur plusieurs villes, de Québec à Sherbrooke, en passant par Laval et Longueuil. Des élus nouveau genre, déterminés à faire front commun pour lutter – enfin ! – contre les changements climatiques.

Ça tombe bien, parce qu’on ne parle pas beaucoup de climat, dans cette campagne électorale. On n’a pourtant plus une seconde à perdre.

Me voilà donc installée devant un plateau de viennoiseries dans l’élégant bureau du maire de Québec. Dans ce décor de château, avec lustre et tapisserie, détonnent plus que jamais les chaussures de course multicolores qui sont devenues sa marque de commerce.

Mais Bruno Marchand ne tarde pas à dégonfler ma balloune. Officieuse ou pas, l’opposition au gouvernement, « ça ne peut pas être les villes », tranche-t-il. « Avez-vous déjà essayé de jouer à l’opposition avec votre banquier ? Bonne chance ! »

Touché. Le maire de Québec est franc. Pragmatique, surtout. « Le choix des électeurs du Québec, on ne pourra pas s’y opposer pendant quatre ans ; on n’irait nulle part. Il faut travailler avec le gouvernement qui sera élu et espérer que lui aussi voie la nécessité d’agir – et d’agir rapidement. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Bruno Marchand, maire de Québec, dans son bureau à l’hôtel de ville

C’est entendu, les maires n’ont pas les moyens de s’opposer au gouvernement, qui tient les cordons de la bourse. Reste que la récente volte-face de François Legault – qui a d’abord fermé, puis ouvert la porte au « pacte vert » demandé par les villes pour s’adapter aux changements climatiques, montre bien l’influence que les élus municipaux peuvent exercer auprès du premier ministre.

Ces élus exigent un pacte vert de plusieurs milliards « par nécessité », dit Bruno Marchand. Ils le font parce qu’ils savent trop bien que, s’ils attendent la prochaine inondation ou la prochaine route emportée par l’érosion des berges, ça coûtera dix fois plus cher. Il faut prévoir. S’adapter. « Mais les maires et les mairesses le font aussi parce qu’ils y croient », ajoute M. Marchand.

Lui, en tout cas, y croit. Dur comme fer. C’est même pour ça qu’il s’est lancé en politique.

Le trip d’ego ne m’apporte rien. D’être réélu trois fois, si c’est pour faire de la bouette… aussi bien perdre. Si c’est pour manquer de courage…

Bruno Marchand

Du courage, il en faut. Surtout à Québec, où une certaine radio ne lui laisse aucun répit. Au printemps, Bruno Marchand a souligné que le mercure avait grimpé de 30 °C au-dessus des normales saisonnières en Antarctique. « Radio X joue en boucle cette clip-là pour me faire passer pour un épais… » Comme si un maire ne devait pas se sentir concerné par ce qui se passe à l’extérieur des limites de sa ville. Comme s’il devait se foutre du sort de la planète. « C’est un peu con, comme façon de penser. »

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Bruno Marchand, maire de Québec, dans son bureau à l’hôtel de ville

Des milliers de Québécois ont marché vendredi pour le climat. Cette urgence-là, on ne la sent guère au sein du gouvernement sortant. Au cours des derniers mois, on a entendu :

  • le ministre de l’Environnement assurer, sans étude à l’appui, que le troisième lien contribuera à… freiner l’étalement urbain ;
  • un autre ministre demander au maire de Québec d’arrêter de « polluer l’existence des conducteurs » avec des projets comme le tramway ;
  • un candidat, possiblement futur ministre, lancer aux journalistes : « Lâchez-moi avec les GES ! ».

Surtout, ne pas bousculer les électeurs, semblent-ils nous dire. Ne pas les priver de leurs véhicules énergivores. La population n’est pas prête. Elle ne nous suivra pas si on pousse le bouchon trop loin. Elle pourrait même se soulever, comme les gilets jaunes en France !

Je trouve ce discours désespérant. Pas Bruno Marchand. « Ils ont un peu raison », me glisse-t-il. Pragmatique, une fois de plus. Il compare la politique à une locomotive ; si elle tire trop vite, trop fort, les wagons risquent de décrocher.

Il faut ralentir le train. S’assurer que tout le monde monte à bord. « C’est notre seule chance de réussite. Si les wagons décrochent parce que la locomotive va trop vite, peut-être qu’on va se rendre à destination dans les délais voulus, mais on va y arriver seuls. »

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Bruno Marchand, maire de Québec, dans son bureau à l’hôtel de ville

Il me semble pourtant qu’on n’en est plus là. Il faut appuyer sur l’accélérateur. Quitte à brasser les gens dans leurs habitudes.

Les scientifiques se tuent à le répéter : notre mode de vie est insoutenable. Si on ne limite pas le réchauffement planétaire à 1,5 °C, on atteindra un point de non-retour. Il faut se secouer. Maintenant. On est déjà en retard.

Ça me fait penser à la métaphore climatique du film Don’t Look Up. Une météorite fonce vers la planète. Les scientifiques tentent d’alerter la population. Personne ne les écoute. Personne ne veut être dérangé.

Mais il faudra bien déranger. Qui sait, les gens pourraient même finir par trouver ça agréable. La rue Wellington, à Verdun, a été élue la rue la plus cool du monde après avoir été transformée, rappelle le maire Bruno Marchand. Dans le Quartier des spectacles, ajoute-t-il, la rue Sainte-Catherine attire des centaines de piétons ravis. L’essayer, c’est l’adopter.

Encore faut-il oser. « Il faut faire avancer la locomotive, admet le maire de Québec. Quitte à perdre l’élection. J’aimerais mieux regarder les jeunes générations dans les yeux et leur dire : “On a fait tout ce qu’on pouvait au moment où on savait que : j’ai été réélu, mais j’ai manqué un peu de courage. J’avais peur. J’avais peur que, dans une radio, on rie de moi parce que je cite l’Antarctique en exemple du fait que la planète a besoin d’amour.” »