Elle s’appelait Mahsa Amini. Elle avait 22 ans. Elle n’aura jamais 23 ans.

Son crime aux yeux du régime iranien ? Avoir « mal » porté son voile à Téhéran, laissant dépasser quelques mèches de cheveux.

Arrêtée et battue par la police des mœurs iranienne, Mahsa est morte dans des circonstances troublantes, vendredi dernier. Une mort tragique qui a provoqué la colère et l’indignation des Iraniennes et de défenseurs des droits et libertés, en Iran et ailleurs. Des femmes sont descendues dans la rue tête nue. Certaines ont brûlé leur voile. Trois personnes sont mortes au cours de manifestations violemment réprimées.

« Voulez-vous vraiment savoir comment la police des mœurs iranienne a tué Mahsa Amini, 22 ans ? Regardez cette vidéo et ne permettez à personne de normaliser le hijab obligatoire et la police des mœurs. La servante écarlate de Margaret Atwood n’est pas une fiction pour nous, les femmes iraniennes. C’est une réalité », a écrit sur son fil Twitter la militante iranienne Masih Alinejad, fondatrice du mouvement #WhiteWednesdays, qui vit en exil aux États-Unis.

Consultez le fil Twitter de Masih Alinejad (en anglais)

Cette réalité pire que toute fiction, Shaparak Shajarizadeh, militante féministe iranienne forcée de fuir son pays après avoir manifesté contre le voile obligatoire au sein du mouvement lancé par Masih Alinejad, la connaît trop bien.

Comme Mahsa, Shaparak a déjà été arrêtée à Téhéran simplement pour avoir voulu être libre. Comme Mahsa, elle a été envoyée au centre de détention de Vozara et y a vécu des heures atroces. Contrairement à Mahsa, elle a eu la chance d’être défendue par la grande avocate Nasrin Sotoudeh, avant qu’elle soit elle-même condamnée à la prison pour avoir défendu le droit des femmes de choisir librement de porter le hijab ou pas.

« Tu te souviens, je t’ai parlé de ce centre de détention… », me dit, en fondant en larmes, Shaparak, qui vit aujourd’hui à Toronto.

Bien sûr que je me souviens. J’ai recueilli le témoignage à glacer le sang de Shaparak pour une chronique, puis pour son livre La liberté n’est pas un crime (Plon). J’en ai encore des frissons quand j’y pense.

Shaparak est incapable de fermer l’œil depuis qu’elle a pris connaissance de l’histoire tragique de Mahsa et de la répression contre les manifestants qui a suivi. Des souvenirs noirs sont remontés à la surface.

« On m’a frappée dans ce même édifice. Pendant deux ans, j’ai dû composer avec le traumatisme de ce que j’y ai subi. Je ne pouvais plus supporter d’être seule dans une pièce avec la porte fermée. Je suis devenue claustrophobe. Je faisais des crises de panique. Même encore maintenant… »

Elle ne cesse de penser à ce que Mahsa a pu vivre elle-même derrière ces portes closes aux mains de ces « monstres » du centre de détention de la police des mœurs. À quel point elle a dû se sentir vulnérable. « Moi, j’avais 42 ans à l’époque. Elle, seulement 22 ans… »

Shaparak y a été envoyée en février 2018, menottée comme une criminelle, pour avoir manifesté pacifiquement contre le hijab obligatoire, un simple voile blanc hissé au bout d’un bâton.

Le grand patron du centre de détention l’avait accueillie avec mépris, en tentant de lui faire peur. « On va te briser, ma pauvre. On va t’écraser. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Shaparak Shajarizadeh, militante féministe iranienne

Elle y a subi une humiliante fouille à nu, avant d’être jetée dans une cellule. On lui a dit qu’elle était une salope, une chienne, une espionne, qu’elle allait pourrir en prison. On a menacé de lui faire subir des électrochocs. On l’a battue, tapant sa tête contre le sol.

À un enquêteur qui avait ridiculisé son acte de désobéissance pacifique, Shaparak avait répondu : « Je m’en fiche. En faisant ça, je fais un petit geste qui, additionné à ceux d’autres personnes, finira par affecter l’univers. C’est ce qu’on appelle l’effet papillon. Je crois à ça. »

Elle y croit toujours, même en exil. Les Iraniennes font preuve de plus en plus d’audace et ont de plus en plus d’alliés. « Les longues peines de prison pour celles qui s’opposent au hijab obligatoire ont créé encore plus de résistance. Des femmes sortent plus que jamais dans la rue sans le porter. Et de plus en plus de gens sont en colère. Ils en ont assez de ce régime. Ils en ont assez de la violence. Je ne crois pas que les autorités pourront continuer à forcer les femmes à se soumettre à la police des mœurs. »

L’Iran se trouve à un point de bascule, croit-elle. Si ce n’est pas le début de la fin du régime, ce sera à tout le moins le début de la fin de la violence contre les femmes.

Du moins, c’est ce qu’elle espère, en pensant à la bravoure de Mahsa et de toutes celles qui l’ont précédée.

Si l’histoire tragique de la jeune femme a entraîné un élan de solidarité internationale avec les femmes iraniennes, il reste à souhaiter que ce ne soit pas qu’un mouvement éphémère.

« J’espère juste que l’on ne nous oubliera pas encore. »

Puisqu’il est question de solidarité… Inévitablement, lorsqu’on aborde cet enjeu au Québec, on reproche à quiconque émettrait le moindre bémol quant au bien-fondé de notre Loi sur la laïcité de l’État et de son interdiction du hijab pour les enseignantes de manquer de solidarité à l’égard des femmes iraniennes.

C’est pourtant travestir le combat d’une Masih Alinejad ou d’une Shaparak Shajarizadeh. Ces militantes courageuses ne demandent pas d’interdire le hijab ici ou ailleurs. Elles exigent d’abord et avant tout que les femmes soient libres.

Libres de le mettre, libres de l’enlever, libres de le critiquer.

Libres de ne pas mourir pour une mèche de cheveux.

Lisez la chronique « Une femme de courage »