En vertu de la loi 21, en ces temps de pénurie de personnel, on peut donc embaucher comme enseignant un homme aux discours extrémistes bien connus ou quelqu’un qui a un simple diplôme d’études secondaires, mais pas une enseignante qui porterait le hijab et serait parfaitement qualifiée.

N’est-ce pas merveilleux ?

C’est la réflexion que je me suis faite en lisant l’article troublant de ma collègue Marie-Eve Morasse qui révélait qu’un prédicateur dont certains élèves sont partis faire le djihad et qui loue ouvertement les talibans a été brièvement embauché comme enseignant de français dans une école secondaire publique du centre de services scolaire des Mille-Îles1.

« Il se nomme Adil Charkaoui et il débutera ce jeudi », annonçait un courriel de la direction envoyé le 30 août.

Hasard ou coïncidence, quand ma collègue a posé des questions à l’employeur, celui-ci s’était soudainement ravisé. Après les « vérifications d’usage complétées », on a changé d’avis, la veille de l’entrée en poste du candidat.

Peut-être a-t-on réalisé tardivement que la pénurie de personnel n’excuse pas la pénurie de jugement. Et qu’un homme qui loue le régime obscurantiste et misogyne des talibans n’est pas exactement l’enseignant exemplaire à qui on voudrait confier nos enfants2.

À la suite de la publication de l’article, mercredi, le cabinet du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a fait à son tour des vérifications auprès du centre de services scolaire en question. Adil Charkaoui ne pourra pas enseigner aux élèves du Québec, ni au public ni au privé, nous dit-on. Le Ministère enverra sous peu aux écoles un rappel des mesures de vérification nécessaires avant l’embauche d’un enseignant3.

Comment se fait-il que, dans ce cas précis, les « vérifications d’usage » complètes n’aient pas été faites plus tôt dans le processus d’embauche ?

J’aurais bien aimé le savoir, mais la porte-parole du centre de services scolaire a refusé de répondre à mes questions, se contentant de me faire parvenir par courriel la même réponse « copiée-collée » déjà envoyée à ma collègue.

« Je vous confirme qu’Adil Charkaoui n’enseignera pas dans l’un ou l’autre de nos établissements », a-t-elle écrit, en répétant que le centre de services scolaire ne peut pas commenter des dossiers de ressources humaines.

Note de service pour la prochaine fois : ce serait quand même bien de faire les « vérifications d’usage » avant de choisir son candidat, et non après.

Mercredi, le premier ministre François Legault réitérait l’importance de la laïcité et des valeurs à préserver dans notre société, en citant la loi 21 et en faisant un amalgame malheureux entre l’immigration et la violence, pour lequel il s’est ensuite excusé.

Bien que je sois en faveur de la laïcité de l’État, il me semble que la loi 21, portée par un débat qui se focalise surtout sur les signes religieux en général et le voile islamique en particulier, rate la cible en éducation.

L’exemple du prédicateur Charkaoui en offre une belle illustration. Comme il ne porte pas de signes religieux, il semble que l’on n’ait pas jugé que son embauche contrevienne à la Loi sur la laïcité de l’État même si son discours public extrémiste ne fait pas exactement de lui un exemple de pédagogue dans une société laïque et égalitaire.

Alors que si la lauréate du prix Nobel de la paix Malala Yousafzai, symbole de la lutte pour l’éducation des filles que les talibans voulaient tuer à son retour de l’école au Pakistan, avait voulu devenir enseignante au Québec, on aurait exclu d’emblée sa candidature, en raison de son hijab.

PHOTO HANNAH MCKAY, ARCHIVES REUTERS

Malala Yousafzai, en juillet dernier, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux du Commonwealth, à Birmingham, en Angleterre

Même en pleine pénurie de personnel, même si elle est diplômée de l’Université d’Oxford et qu’elle serait certainement une enseignante inspirante pour ses élèves, cela aurait été une fin de non-recevoir. Cherchez l’erreur.

Je crois qu’il est particulièrement important que l’école soit un espace d’apprentissage laïque, égalitaire, exempt de prosélytisme, de discours haineux ou incitant à la violence, qu’ils soient prononcés au nom de la religion ou pas. Que tout en respectant la liberté de conscience de chacun, l’école soit un lieu de transmission de savoir et non un lieu de transmission de croyances. Un lieu où on apprend à réfléchir sans que l’on nous dicte quoi penser. Où on forme des citoyens à la tête « bien faite » plutôt que « bien pleine », pour reprendre les mots de Montaigne.

Il va de soi que l’enseignant joue un rôle clé en ce sens. Mais je ne crois pas que l’absence de signes religieux, comme l’exige la loi 21, garantisse de facto sa neutralité. Pas plus que je ne crois que la seule présence d’un tel signe doive être un frein à l’embauche.

Ce qui importe en classe, ce n’est pas tant ce que l’enseignant a sur la tête, mais bien ce qu’il a dans la tête.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, pénurie ou pas, entre un enseignant qui n’a qu’un diplôme d’études secondaires4, un autre qui fait l’apologie d’un régime fondamentaliste ou une candidate comme Malala, il me semble que le choix est clair. C’est le choix d’une école laïque, ouverte et égalitaire, qui embauche les candidats les plus qualifiés et les plus compétents. Une école où l’on apprend à douter plus qu’à croire et à toujours se méfier des apparences.

1 Lisez l’article « Adil Charkaoui brièvement embauché dans une école secondaire » 2 Lisez l’article « Adil Charkaoui prêche en faveur des talibans » 3 Lisez l’article « Adil Charkaoui ne pourra pas enseigner au Québec » 4 Lisez l’article « Des enseignants avec un simple diplôme d’études secondaires »