Certains de ses élèves sont partis faire le djihad en Syrie et il prêchait encore l’an dernier en faveur des talibans. Malgré son passé controversé, le prédicateur Adil Charkaoui a été brièvement embauché comme enseignant de français dans une école secondaire publique de Sainte-Thérèse, a appris La Presse.

Adil Charkaoui avait décroché un contrat à l’école secondaire Saint-Gabriel, du centre de services scolaire des Mille-Îles (CSSMI). Dans un courriel que La Presse a obtenu, la direction confirme le 30 août que les « ressources humaines ont trouvé un enseignant » pour des élèves de 1re et de 2e secondaire. « Il se nomme Adil Charkaoui et il débutera ce jeudi », y lit-on, soit deux jours plus tard.

Or, quelques heures après que La Presse a demandé au CSSMI s’il s’agissait bel et bien de l’imam controversé, la direction de l’école a envoyé un courriel à une douzaine de personnes pour se raviser. On y lit qu’après les « vérifications d’usage complétées », Adil Charkaoui n’enseignera pas le lendemain matin comme prévu.

Presque au même moment, la porte-parole du CSSMI, Mélanie Poirier, nous a confirmé que « cette personne » n’enseignerait dans aucun des établissements du centre de services scolaire.

Joint par téléphone, Adil Charkaoui n’a pas voulu confirmer qu’il avait été embauché à cette école de Sainte-Thérèse, mais affirme qu’il est enseignant de français.

« J’enseigne depuis 1996 dans des écoles publiques et privées. J’enseigne dans des écoles juives, catholiques, musulmanes, qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? », a demandé M. Charkaoui. Selon son site internet, il est titulaire d’un doctorat en fondements de l’éducation de l’Université de Montréal.

« Je suis père de quatre enfants, est-ce que je ne dois pas gagner ma vie ? Je ne dois pas travailler ? », a-t-il poursuivi.

Des propos controversés

Montréalais d’origine marocaine, Adil Charkaoui a été arrêté en 2003. Il était soupçonné par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) d’avoir participé à des camps d’entraînement d’Al-Qaïda en Afghanistan. Il a toujours nié ces allégations.

L’an dernier, lorsque les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan, Adil Charkaoui a estimé sur Twitter qu’il s’agissait de « la victoire de la foi » et qu’« aucun crime contre les civils » n’avait été commis.

Quand on lui soumet qu’il tient des propos controversés, Adil Charkaoui évoque le chef du Parti conservateur du Québec.

« Allez voir ce qu’Éric Duhaime tient comme propos haineux contre les musulmans, contre toutes les minorités », dit le prédicateur, qui se dit « harcelé ».

« Maintenant, c’est tolérance zéro. Je vais commencer à poursuivre ceux qui nuisent à ma réputation », a déclaré Adil Charkaoui à La Presse, avant de brusquement mettre fin à l’appel téléphonique.

Le ministère de l’Éducation ne s’en mêle pas 

Entre 2013 et 2015, une dizaine de jeunes Québécois qui suivaient les enseignements d’Adil Charkaoui sont partis pour la Syrie ou ont tenté de le faire, alors que la guerre civile y faisait rage. Des parents avaient alors dénoncé l’influence qu’il exerçait sur leurs enfants.

La Presse a voulu savoir si le ministère de l’Éducation accepterait que le prédicateur travaille comme enseignant dans une école secondaire.

La gestion des ressources humaines relève des centres de services scolaires ou des écoles privées « en respect des encadrements législatifs et réglementaires ainsi que des dispositions prévues aux conventions collectives », explique Bryan St-Louis, porte-parole du Ministère.

Adil Charkaoui prétend qu’il a travaillé dans des écoles publiques et privées. A-t-il bénéficié dans le passé d’une tolérance d’engagement accordée par le Ministère ?

« Comme il s’agit d’informations confidentielles, le ministère de l’Éducation ne peut répondre à cette question sans obtenir préalablement l’autorisation de M. Charkaoui », nous répond-on.

Adil Charkaoui en quelques dates

2003

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada de l’époque, Denis Coderre, autorise un certificat de sécurité contre Adil Charkaoui. Il est notamment soupçonné d’avoir participé à des camps d’entraînement d’Al-Qaïda et d’avoir le profil d’un « agent dormant » de l’organisation terroriste.

2005

Adil Charkaoui est libéré sous de strictes conditions. Il doit respecter un couvre-feu, on lui interdit de voyager, d’utiliser l’internet ou un téléphone cellulaire. Il doit porter un bracelet de surveillance électronique.

2009

La Cour fédérale ordonne la libération complète d’Adil Charkaoui. « J’attendais ce jour depuis 2003 », déclare M. Charkaoui à sa sortie de la cour.

2010

Adil Charkaoui intente une poursuite de 26 millions contre le gouvernement fédéral pour atteinte à sa réputation.

2014

Adil Charkaoui obtient sa citoyenneté canadienne.

2015

Les collèges de Maisonneuve et de Rosemont suspendent des contrats de location de l’École des compagnons, affiliée au centre islamique présidé par Adil Charkaoui. Durant cette même période, huit jeunes ayant suivi les enseignements du prédicateur partent ou tentent de partir vers la Syrie. Adil Charkaoui dénonce une « chasse aux sorcières » menée contre les musulmans.

2021

Lorsque l’Afghanistan tombe à nouveau entre les mains des talibans, en août, Adil Charkaoui publie de nombreux commentaires sur le réseau social Twitter où il prêche en faveur du régime. Il publie notamment une photo d’un groupe de femmes afghanes couvertes de burqas en soulignant qu’elles sont « bien assises à l’abri ».

Avec Vincent Larouche, La Presse, et La Presse Canadienne