Ma grande crainte quant à la crise des fusillades qui se multiplient à Montréal se résume en un mot : dentifrice. Comme chacun sait, quand le proverbial dentifrice est sorti du tube, c’est quasiment impossible de l’y remettre.

Le Canada est un marché à développer pour les exploitants du marché noir des armes, aux États-Unis, un pays qui compte plus d’armes que de citoyens. Nous sommes voisins d’un pays fou de ses guns. Cette folie déborde ici.

Nous avons quand même une obligation de moyens pour tenter de remettre le dentifrice dans le tube, pour tenter de juguler la circulation des armes ici au Canada, au Québec, à Montréal.

Il va falloir essayer de toutes nos forces : un pays où n’importe qui peut se procurer des armes pour régler des comptes est un pays cinglé où personne n’est en sécurité.

Voici, en vrac, quelques idées de pistes de solution. C’est le résultat de plusieurs conversations et entrevues, ces derniers mois, avec des sources politiques et policières.

Ottawa doit cesser de voir la vie en rose. La Cour suprême a torpillé en 2015 les peines de prison obligatoires pour possession d’armes prohibées. Ça n’empêche pas le législateur de tenter d’imposer de telles peines, avec un article du Code criminel qui s’arrimerait aux préoccupations de la Cour suprême.

Je souligne au passage que la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec, quoi qu’on puisse en penser, s’activent dans ce dossier. Le grand absent ? Le fédéral, comme toujours occupé à flotter à 30 000 pieds au-dessus des enjeux.

Le premier ministre de ce pays, Justin Trudeau, est un député de Montréal. Idem pour le ministre de la Justice, David Lametti. S’ils sont alarmés par ce qui se passe dans leur ville, il faudrait qu’ils nous le démontrent. Pour l’instant, ils sont aux abonnés absents.

Les frontières, c’est le fédéral, by the way. Par où entrent les armes prohibées, généralement ? Par les frontières.

Sans oublier que la police fédérale, la GRC, ne semble plus s’intéresser au crime organisé, comme le rapportait Daniel Renaud en décembre dernier.

Parlant d’absence : le premier ministre Legault, sur cet enjeu-là, ne flotte pas à 30 000 pieds d’altitude comme Ottawa, mais disons qu’on le croirait s’il nous disait être incapable de situer Rivière-des-Prairies sur une carte géographique.

Les effectifs policiers, maintenant. Il y a une guerre de chiffres sur le nombre de policiers embauchés, pas embauchés, à embaucher à Montréal, sur fond de promesses électorales en 2021 et de renouvellement prochain de la convention collective. Je laisse à d’autres le soin de décortiquer tout cela.

Rappel : il y a plus de 4400 policiers actifs à Montréal. Même si on en embauchait 200 demain matin, est-ce que ça ferait une énorme différence en termes d’impact dans la lutte contre les fusillades ? Pas sûr.

Parmi ces 4400 policiers, combien pourraient être réaffectés vers le terrain, les enquêtes et le soutien aux enquêtes ? Combien de tâches effectuées par des policiers actuellement pourraient l’être par des civils ? La circulation aux abords de chantiers routiers et des feux de circulation défectueux : peut-on confier cela à Garda plutôt qu’à des patrouilleurs ?

Fait : une immense partie du travail de patrouille à Montréal est monopolisée par l’itinérance et des cas de santé mentale. Les policiers doivent jouer aux travailleurs sociaux parce que le système de santé échappe des tas d’êtres humains… 

C’est du temps de moins pour faire… la police.

Un autre fait, méconnu : plusieurs saisies de drogues et d’armes sont le fait de sources criminelles qui renseignent les policiers. Des criminels reçoivent quelques centaines de dollars, parfois des milliers de dollars, pour dire à des enquêteurs où ils peuvent trouver un kilo de coke ou un Glock.

Y a-t-il suffisamment d’argent dans cette cagnotte, celle du paiement des sources ? Je pose la question parce que des policiers se posent des questions là-dessus. On ne fera pas de progrès dans les saisies d’armes sans payer des bandits qui trahissent leurs ennemis… et surtout leurs amis.

Fait : le recrutement de sources est capital pour toutes sortes d’enquêtes criminelles. En 2016, sous le leadership déficient de Philippe Pichet, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a démantelé ses quatre escouades de gangs de rue. La police s’est ainsi privée d’enquêteurs qui connaissaient très bien les groupes qui, aujourd’hui, tirent dans nos rues. Cette expertise serait aujourd’hui fort utile.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La mairesse de Montréal, Valérie Plante

Je ne suis pas de ceux qui pensent que Valérie Plante veut secrètement définancer la police. On n’engage pas Martin Prud’homme – ex-chef de la police de Montréal et de la Sûreté du Québec – comme directeur général adjoint de la Ville pour la sécurité publique si on veut définancer la police.

Mais des militants de Projet Montréal sont ouvertement pour le définancement (et même pour le désarmement de certains policiers). Mme Plante a recruté comme candidat (défait) à la mairie de Montréal-Nord une des voix les plus farouches du définancement de la police, Will Prosper. Ça envoyait un drôle de signal aux policiers de Montréal, mettons.

Ça va aussi prendre plus de leadership à la tête du SPVM. La directrice générale actuelle, Sophie Roy, occupe son poste au quartier général de la rue Saint-Urbain de façon intérimaire.

Est-elle, oui ou non, la femme de la situation ?

Si elle l’est, qu’on lui donne le poste. Si elle ne l’est pas, qu’on procède : il est plus qu’urgent que les troupes aient un(e) leader solidement en place. La Ville compte sélectionner la personne qui dirigera le SPVM d’ici la fin… de 2022.

Désolé, mais c’est du délire, alors que Montréal traverse sa pire crise de sécurité publique depuis la guerre des motards. Le SPVM doit avoir un(e) chef qui va devenir le visage de l’action policière. Par ailleurs, la Ville a annoncé une consultation publique pour déterminer les critères d’embauche de la personne appelée à diriger la police de Montréal.

Comment dire ? C’est une belle idée qui sent bon le lilas !

Mais si on veut donner à tous les militants qui détestent la police l’occasion de venir politiser le processus d’embauche du leader du SPVM, on ne s’y prendrait pas autrement.

Fait : il sera plus important pour la personne qui va officiellement diriger le SPVM de rallier ses policiers de plus en plus démotivés que de plaire à la vaste constellation de militants hyperprogressistes qui rêvent d’une société sans police.

Politiquement, la mairesse Valérie Plante fait face à sa plus grande crise politique depuis son accession à l’hôtel de ville. Je vais aller plus loin : elle va jouer son avenir politique sur cet enjeu.

Il sera plus important pour elle de rallier ses concitoyens de plus en plus apeurés que de plaire aux hyper-progressistes de son parti.