Ce qui se passe à la maison ne reste pas toujours à la maison.

La langue parlée chez soi est un indicateur imparfait de la santé du français. Mais pas inutile non plus.

Elle aide à prédire la langue qui sera employée au travail, à l’école et en culture.

Le recul de la proportion de Québécois ayant le français comme langue parlée à la maison ne devrait pas étonner. Nous faisons peu d’enfants — sur l’île de Montréal, le taux de fécondité est de 1,2. Et en contrepartie, nous accueillons chaque année des immigrants qui ont par exemple grandi en parlant arabe, chinois ou hindi.

On ne leur demande évidemment pas d’abandonner leur langue et leur culture. La politique linguistique vise autre chose : qu’ils s’intègrent en français, et non en anglais, à leur société d’accueil. Pour renforcer le vivre-ensemble.

La nouvelle étude de Statistique Canada s’intéresse notamment à la langue maternelle et à celle parlée à la maison. Les chiffres sur le travail seront publiés plus tard cet automne. Mais déjà, des voyants jaunes s’allument.

La langue maternelle mesure le passé. Celle utilisée à la maison porte sur le présent et influence l’avenir, soit la langue qui sera transmise aux enfants. Statistique Canada les combine puis ajoute la connaissance du français et de l’anglais. Cela crée un indicateur important : la « première langue officielle parlée ». Au Québec, pour l’anglais, ce taux est passé de 12 % à 13 % depuis cinq ans.

Ce recul risque de se répercuter ailleurs.

Une corrélation forte s’observe entre la langue parlée le plus souvent à la maison et celle sur la place publique (commerce, travail, etc.). L’Office québécois de la langue française l’a mesurée⁠1. Parmi ceux qui emploient la langue de Leclerc à domicile, 90,2 % la privilégient sur la place publique. Chez les allophones et les anglophones, le taux est respectivement de 53,8 % et de 19,8 %.

La langue à la maison influence aussi les préférences culturelles⁠2.

Une critique fréquente de la mention « langue parlée à la maison » est que des polyglottes ne savent pas quelle case cocher. Or, on peut contourner en partie cet écueil en demandant quelle est la langue le plus souvent parlée. Et de toute façon, ce problème méthodologique ne change rien aux autres reculs notés par Statistique Canada.

Quelques exemples :

On note une hausse du nombre d’anglophones unilingues dans le Grand Montréal. Comme Michael Rousseau, patron d’Air Canada, ils réussissent très bien à vivre sans parler français.

On observe aussi une hausse du nombre de Québécois ayant l’anglais comme langue parlée à la maison.

Pendant ce temps, le taux de francophones parlant anglais est en hausse. Sur le plan individuel, c’est une bonne nouvelle.

Mais collectivement, cela aggravera le phénomène où un groupe de francophones change de langue à l’arrivée d’une seule personne qui ne comprend pas. Parce qu’ils sont fiers d’en être capables, et parce qu’ils veulent être accommodants.

Les optimistes rétorqueront que 93,7 % des Québécois sont capables de soutenir une conversation en français, une légère baisse par rapport à 2016 (94,5 %). Reste que ce qui compte n’est pas la capacité autodéclarée de parler une langue. C’est son utilisation. Et ce choix dépend de la valeur qu’on y accorde.

Est-ce que les francophones veulent protéger leur langue ? La réponse varie selon l’âge… En novembre 2020, Léger rapportait que parmi les 18-34 ans, 42 % des sondés jugeaient « plutôt ou très important » d’être accueillis en français dans les commerces du centre-ville de Montréal. Chez les 55 ans et plus, la proportion était de 63 %.

En d’autres mots, la démographie joue contre le français.

Certes, grâce à la loi 101, les francophones et les allophones iront au primaire et au secondaire en français. Mais pour le cégep, ils sont plus attirés que les générations précédentes par l’anglais. Ceux qui y étudient auront plus tendance à fréquenter l’université en anglais et à travailler dans cette langue.

Le français ne disparaîtra pas. Mais il s’érode et perd de sa charge symbolique. Il sert de moins en moins de socle culturel et d’outil d’intégration. Il se transforme, dans le Grand Montréal du moins, en un simple mode de communication parmi d’autres. Le rapport devient utilitaire et facultatif.

Même si la langue à la maison est un indicateur imparfait de la vitalité du français, il permet d’anticiper plusieurs reculs. Et de toute façon, vous pouvez choisir l’indicateur et la méthodologie de votre choix. Car la tendance est claire : partout, le français recule.

1. Lisez l’étude de l’Office québécois de la langue française publiée en 2019 2. Lisez « Indicateurs de suivi de la situation linguistique au Québec – Langue et activités culturelles, 1989-2014 », publié en 2016 par l’Office québécois de la langue française.