S’il faut se fier aux propos de l’ambassadeur de Chine à Ottawa, ce n’est qu’une question de temps avant que l’île de Taiwan, qui a son propre gouvernement et sa propre monnaie, soit « réunifiée » avec la République populaire de Chine. Qu’elle le veuille ou non.

« Il y a un désir fort pour que la réunification [du pays] ait lieu en même temps que la grande régénération de la Chine. C’est l’opinion de 1,4 milliard de personnes. Et ça ne peut être arrêté par personne ni par aucune force. Ça, c’est clair », m’a dit Cong Peiwu lors d’un entretien d’une heure qui a eu lieu vendredi au consulat général de Chine à Montréal.

C’est en effet très clair.

Juste avant notre rencontre, planifiée de longue date, on apprenait que la Chine avait lancé des missiles au-dessus de Taiwan en plus d’avoir procédé à des exercices militaires – maritimes et aériens – au large de l’île de 23 millions d’habitants. Quelques heures plus tard, soit samedi à l’heure de Taipei, le ministère taïwanais de la Défense affirmait que la Chine menait une simulation d’attaque contre l’île.

Ce climat de tension est absolument exceptionnel dans une relation qui est pourtant en dents de scie depuis 1949.

Cette année-là, au moment de la révolution communiste de Mao Zedong, le gouvernement de Chiang Kai-shek a fui la Chine continentale et s’est réfugié dans l’île de Taiwan pour y établir un gouvernement en exil.

Depuis, la République populaire de Chine estime que Taiwan fait partie de son territoire et relève de son autorité. De son côté, Taiwan s’autogouverne, mais depuis 1971, n’est pas reconnu comme un État par la majorité des pays du monde. Ce qui n’empêche pas ces mêmes pays d’entretenir des relations de toutes sortes avec Taiwan.

Ce statu quo – pour le moins ambigu – perdure depuis des décennies. Il est cependant remis en cause depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping.

Ce dernier, qui s’apprête à entreprendre un troisième mandat, promet de réunifier le pays, et ce, même si moins de 2 % des Taiwanais accueillent ce projet avec enthousiasme, selon les sondages.

Le tout cause beaucoup de grincements de dents dans toute la région.

C’est donc dans ce contexte déjà tendu qu’est débarquée cette semaine la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi. En rencontrant la présidente taiwanaise Tsai Ing-wen et d’autres élus, elle a voulu témoigner de son soutien à la « démocratie taiwanaise », a-t-elle dit au début de cette visite controversée.

La Chine, elle, y a vu une « provocation sérieuse », estime l’ambassadeur de Chine. « Nancy Pelosi a envoyé tous les mauvais signaux à ceux qui veulent l’indépendance de Taiwan et elle a mis en danger la stabilité et la sécurité dans tout le détroit de Taiwan et même dans la région, causant beaucoup de troubles. L’escalade des tensions qu’on voit maintenant a été causée par les États-Unis, pas par la Chine. Nous leur avons fait connaître notre opposition depuis le tout début », argumente le diplomate, qui estime que la réaction chinoise a été « déterminée et forte » afin de « protéger la sécurité nationale et l’intégrité territoriale de la Chine ». Et qu’elle continuera de l’être.

Lors de notre conversation, l’ambassadeur mentionne à répétition les « forces indépendantistes taiwanaises ». Or, selon l’expert Scott Simon, cotitulaire de la Chaire de recherche en études taiwanaises de l’Université d’Ottawa, de 4 à 5 % des Taiwanais tout au plus sont favorables à une rupture complète avec la Chine. « La grande majorité veut le statu quo », ajoute-t-il.

Dans un communiqué commun, les membres du G7, dont le Canada, ont dénoncé les « actions menaçantes de la République populaire de Chine » et demandé au pays de ne pas mettre fin au statu quo avec Taiwan par la force.

Vendredi, Pékin a convoqué les ambassadeurs des pays du G7 en poste en Chine ainsi que le chargé d’affaires du Canada, pour leur chauffer les oreilles.

D’ailleurs, l’ambassadeur de Chine en poste à Ottawa depuis 2019 ne mâche pas ses mots pour mettre le Canada en garde.

« Le Canada ne doit pas être impliqué dans des actions qui vont à l’encontre de la souveraineté chinoise et de son intégrité territoriale. Vous avez appris des leçons dans le passé », dit-il, dans ce qui semble être une référence directe à l’affaire Meng Wanzhou.

Après que le Canada a arrêté la femme d’affaires et fille du fondateur de la société Huawei à la demande des États-Unis, la Chine a détenu deux citoyens canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, de manière arbitraire pendant plus de 1000 jours.

En octobre dernier, lorsque les deux pays ont finalement procédé à la libération quasi simultanée des détenus, le ministère des Affaires étrangères de la Chine avait affirmé que le « Canada devrait apprendre sa leçon ».

Il semble que la terminologie « diplomatique » chinoise n’a pas beaucoup changé depuis l’automne. Elle se colle dorénavant à un nouveau contexte encore plus explosif.