Jean Charest a triomphé de ses adversaires au débat conservateur mercredi soir un peu de la même façon dont le Canada pourrait défaire le Luxembourg 8 à 1 dans un match préparatoire de la Coupe Spengler.

Dans un suspense aussi nul que l’enjeu du match.

En fait, il n’y a presque pas eu de débat. Le seul affrontement portait sur la gestion de l’offre, défendue par Jean Charest contre Scott Aitchison. Pour le reste, il s’agissait de monologues. MM. Charest et Aitchison critiquaient la gestion « incompétente » de Justin Trudeau dans les aéroports et ailleurs, qu’ils promettaient de remplacer par un conservatisme modéré. L’autre candidat, Roman Baber, poursuivait sa croisade pour transformer le Parti conservateur en groupuscule anti-mesures sanitaires.

Le principal fait saillant du débat était sa surprenante existence et l’absence du meneur présumé, Pierre Poilievre. C’est contre ce fantôme que M. Charest se battait.

Il devait n’y avoir que deux débats. Mais étant donné son retard, l’ex-premier ministre du Québec en a réclamé un troisième, et l’exécutif du parti a accepté. M. Poilievre l’a boudé. Tout simplement parce qu’il ne croit pas en avoir besoin.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre, meneur présumé de la course à la direction du Parti conservateur et absent au troisième débat

Mardi, de nouveaux chiffres ont montré pourquoi. M. Poilievre domine par le nombre de donateurs, y compris au Québec. Parmi les Québécois ayant contribué à la campagne d’un candidat, 58 % l’ont fait pour M. Poilievre. En Ontario, ce taux est de 60 %. Sans surprise, son avance est encore plus considérable dans l’Ouest.

Dans le clan Charest, on soutient qu’un sentier vers la victoire existe. Mais il est broussailleux, glissant et abrupt. En théorie, cela demeure possible. Mais en théorie, la foudre pourrait aussi tomber dans votre cour arrière et allumer votre BBQ.

Le mode de scrutin avantage pourtant M. Charest. Comme dans des élections générales, le nombre total de votes au pays n’importe pas. Ce qui compte, c’est de gagner un maximum de circonscriptions. Chacune vaut 100 points, peu importe le nombre des membres.

Certaines circonscriptions du Québec ont à peine plus de 100 membres, tandis que d’autres en Alberta en comptent des milliers. Cela signifie que le Québec est surreprésenté. Avec moins de 10 % des membres, il totalise environ 23 % des points. Le Québec et l’Atlantique valent aussi plus que tout l’Ouest.

Or, M. Charest n’en profite pas autant que prévu. Certes, il n’y a pas de lien direct entre les dons et les votes. Mais cela demeure un indice de la popularité des candidats et de la force de leur organisation.

À la mi-juillet, une lueur d’espoir ravivait les partisans de M. Charest. Un sondage Angus Reid montrait qu’il aurait une avance de 10 points de pourcentage sur les libéraux (34-24), soit plus que celle de M. Poilievre (34-29). Un sondage Ipsos rapportait aussi que 33 % des Canadiens ont une opinion favorable de lui, contre 25 % pour son rival. Selon cette firme, M. Charest avait amélioré son image auprès des sympathisants conservateurs. Il récolte maintenant 45 % d’opinions favorables. Au début de la course, il n’en avait que 27 %.

Reste que dans une course à la direction, ce n’est pas la population générale qui vote ni les sympathisants du parti. Il faut avoir sa carte de membre, et M. Poilievre en aurait vendu plus de 300 000. Soit plus de 40 % des membres.

Ses partisans seraient plus jeunes et moins politisés. Probablement plus attirés aussi par les attaques cinglantes de M. Poilievre que par ses propositions. Le défi du meneur est de mobiliser cette base pour la faire voter. Et pour cela, les tweets cinglants sont aussi efficaces à ses yeux qu’un débat.

Reste que la politique de la chaise vide est une stratégie de peureux. Comme Leslyn Lewis, M. Poilievre a préféré payer une pénalité de 50 000 $ plutôt que d’y participer. Il a aussi montré toute la bassesse dont il est capable en attaquant le modérateur précédent Tom Clark, qu’il qualifie d’« élite laurentienne ». Pourtant, à titre de député de Carleton, juste au sud d’Ottawa, il représente lui aussi le centre du pays…

À la fin de juillet, Stephen Harper est sorti de sa réserve pour appuyer son ancien jeune ministre. Ce n’est pas étonnant, et ce n’est pas le signe non plus que son poulain est en difficulté.

L’hiver dernier, mon collègue Joël-Denis Bellavance rapportait que l’ex-premier ministre prévoyait intervenir durant la course. M. Harper l’a fait pour se venger de M. Charest, son vieil ennemi. Il croit aussi que l’avenir du conservatisme est en jeu. Il pousse les partisans de M. Poilievre à voter. Et une autre théorie circule : il souhaite aussi faire sentir à M. Poilievre qu’il lui en doit une, afin d’avoir son oreille s’il prend le pouvoir. Du moins, c’est ce que pensent ceux qui digèrent mal son intervention.

M. Charest découvre aujourd’hui que la vengeance est un plat qui se mange à une température correspondant au tempérament de M. Harper : glacial.

Mais l’ex-chef conservateur n’avait rien à perdre. Comme on dit en aviation, dans l’éventualité peu probable où Jean Charest devait gagner, il aurait regretté son silence.