« Je n’ai jamais vu une si gentille madame. »

Je venais de demander aux élèves en francisation de Mme Marie-Ève comment ils pourraient me décrire leur enseignante.

C’est Israa, jeune réfugiée syrienne, qui a brisé la glace. Elle connaît Mme Marie-Ève depuis longtemps, car c’était l’enseignante de ses grandes sœurs.

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Israa, jeune réfugiée syrienne

Je trouve qu’elle est la meilleure prof.

Israa, jeune réfugiée syrienne

Israa s’est tournée vers son enseignante. « Même mes parents disent que toi… » Elle a fait une pause, à la fois émue et gênée, comme si comprimer en quelques mots l’immense reconnaissance de ses parents était mission impossible. « Ils disent que toi, tu es une très bonne personne. »

Jacqueline, originaire de Guinée, a renchéri. « Je trouve Mme Marie-Ève vraiment gentille. J’étais très timide quand je suis arrivée… Grâce à elle, j’ai enlevé toute la timidité qui était en moi. »

La gorge nouée en pensant à tout le chemin parcouru, Jacqueline a fondu en larmes. Noémie, assise à ses côtés, l’a prise dans ses bras. « Cocotte… »

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Noémie et Jacqueline

Silence remué et regards embués sur la scène de l’auditorium.

Quand Marie-Ève Gervais m’a invitée à rencontrer ses élèves à l’école polyvalente Saint-Jérôme, elle ne m’avait pas avertie d’apporter mes mouchoirs.

Elle ne m’a pas invitée pour qu’on lui lance des fleurs, mais bien pour donner une voix à ses jeunes protégés, immigrants et réfugiés, qui monteront sur les planches du Théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme, le 9 juin afin de présenter au grand public la pièce Histoires à venir, aux côtés de six élèves non immigrants du Programme d’éducation intermédiaire (PEI).

Tout le monde a son opinion sur la francisation des immigrants. Mais dans l’angle mort de nos débats enflammés, les histoires de ces jeunes, faites de deuils et de recommencements, demeurent le plus souvent invisibles. Leurs voix sont rarement entendues.

Pour libérer la parole de ses élèves, Marie-Ève Gervais a fait appel au metteur en scène Tomas Sierra, qui anime, en collaboration avec l’Institut universitaire SHERPA, des ateliers de théâtre plurilingue pour élèves réfugiés et immigrants.

Les élèves de Mme Marie-Ève ont de 12 à 16 ans. Ils sont originaires de Colombie, du Nigeria, de la Syrie, de Centrafrique, de Guinée, du Congo… Certains sont arrivés par le chemin Roxham. Nombreux sont ceux qui ont séjourné dans des camps de réfugiés. Beaucoup ont vécu des traumatismes. Certains étaient analphabètes à leur arrivée. Beaucoup, bien que scolarisés, doivent rattraper un retard scolaire pour avoir dû interrompre leurs études à cause de la guerre ou de l’exil. Tous ont soif d’être acceptés et entendus. D’où l’idée de ce projet unique et bouleversant.

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Tomas Sierra, metteur en scène de la pièce Histoires à venir

À travers les ateliers ayant mené au spectacle Histoires à venir, les élèves ont été invités à se raconter. « L’idée, c’est qu’on est tous des êtres d’histoires que l’on porte en nous. Faire partager ces histoires permet de créer des liens. Ça génère des sentiments d’empathie », dit Tomas Sierra, qui s’est inspiré de la méthode de création Repère de Robert Lepage.

La démarche permet de sortir de l’image misérabiliste dans laquelle on a tendance à enfermer les réfugiés. « Ce qu’on aimerait faire partager, c’est la force qu’il faut pour traverser tout ça et se rendre là où ils sont aujourd’hui. »

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Blandine, originaire du Congo

C’est mission accomplie. En assistant à la pièce, on est soufflé de voir monter sur scène ces jeunes qui pour la plupart ne parlait pas un mot de français à leur arrivée. On est touché par leurs histoires. On est remué par la chanson composée par Esther, originaire du Congo, qui, en arrivant ici, connaissait une seule phrase en français (« Bonjour, je m’appelle Esther »). Son refrain : « Il faut toujours avoir le courage de s’en aller et de tourner la page. »

***

L’exercice de création, dans cet espace ludique et protecteur du théâtre, a des effets bénéfiques tant pour les apprentissages et la francisation des élèves que pour leur bien-être, souligne Marie-Ève Gervais.

Israa, qui raconte ce que c’est pour une enfant de voir son école bombardée, de devoir quitter ceux qu’on aime et de franchir une frontière la peur au ventre, sous une pluie de tirs, peut en témoigner. Se raconter à travers le théâtre lui a apporté un certain apaisement. Elle pose sa main sur son cœur. « C’est quelque chose de trop dur dans nos cœurs. Alors de le faire sortir, ça fait du bien. »

L’expérience fut tout aussi féconde pour les élèves du PEI. À travers cette œuvre collective, un espace de dialogue est né entre Québécois d’ici et d’ailleurs, dit Noémie. « J’ai trouvé ça très enrichissant en tant que Québécoise née ici. Je ne pouvais pas m’imaginer toutes les histoires qu’ils ont vécues, leur réalité dans leur pays. »

Maya, qui est une enfant adoptée, a trouvé dans ce projet une source d’inspiration et une façon de mieux comprendre sa mère biologique.

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Maya

Je voulais faire cette pièce pour me rapprocher davantage des gens qui ont vécu l’expérience de l’exil. Puisque ma mère a dû faire ça quand elle était jeune et que je ne la connais pas vraiment.

Maya

Longtemps la seule Noire de sa classe, Maya confie qu’elle en a souffert, surtout au primaire. Aujourd’hui encore, il lui arrive de vivre du racisme.

« En me rapprochant de personnes noires, ça m’a permis de prendre plus de confiance et ne pas avoir honte d’être noire… Parce que j’ai toujours eu honte, j’ai toujours voulu être blanche. Grâce aux élèves en francisation, j’ai pu reprendre confiance en moi. Je les remercie. »

Moi aussi, après avoir assisté à la répétition d’Histoires à venir, j’ai eu envie de remercier et de féliciter tous ses artisans : Jacqueline, Trésor, Tatiana, Divine, Diégo, Brian, Augustine, Euphrasie, Désiré, Grâce, Jose, Israa, Éthan, Emy, Noémie, Évelyne, Mia, Taym, Esther, Blandine, Maya, Hermance et le metteur en scène Tomas.

À vous tous – ainsi qu’à la si gentille madame –, merci.

Consultez le site du Théâtre Gilles-Vigneault