Dans les prochains jours, les prochaines heures, vous apprendrez leurs noms. Leur âge. Six ans. Sept ans. Dans les journaux, sur vos écrans, vous verrez apparaître leurs petites frimousses. Craquantes. Insouciantes. La vie devant eux.

Et vous aurez le cœur en miettes. Encore.

Vous les imaginerez trottiner vers l’école pour la dernière fois, mardi matin. Monter à bord de l’autobus jaune, une boîte à lunch à la main. Bisou maman, bisou papa. À plus tard.

Ils ne reviendront pas.

Vous les imaginerez se réfugier sous leurs pupitres, comme leur prof le leur a montré, parce que ces choses-là arrivent, dans ce pays. D’habitude, ce n’est qu’un exercice.

Cette fois, un monstre les tuera.

Et l’Amérique le laissera faire. Encore.

Et l’Amérique tremblera de colère. Encore.

Et rien ne changera.

Combien faudra-t-il d’enfants massacrés pour que les États-Unis se décident à s’attaquer à la culture des armes, une culture mortifère qui gangrène leur société ?

Dix ans après Sandy Hook, cette tuerie qui devait tout changer, la réponse est malheureusement claire : il n’y en aura jamais assez.

Il n’y aura jamais assez de petits Américains massacrés à l’école pour changer les lois, les mentalités, la culture dans ce pays fou de ses guns.

Ah, c’est qu’ils préfèrent prier, nos voisins du Sud.

Ils prient avec une ferveur renouvelée chaque fois que l’horreur frappe, sans se rendre compte, semble-t-il, de la totale inefficacité de leur pieuse stratégie. Le sénateur du Texas Ted Cruz s’est empressé de tweeter, après la tuerie de mardi : « Heidi et moi prions avec ferveur pour les enfants et les familles de l’horrible fusillade à Uvalde. »

Promis-juré, ses prières sont entièrement consacrées aux petites victimes et à leurs parents. Quelle gentille attention, tout de même. Ses actions, cependant, sont entièrement consacrées au lobby des armes.

Quelle insoutenable, quelle enrageante hypocrisie.

Parlant d’hypocrisie, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a déclaré que le tueur avait « horriblement, incompréhensiblement » abattu des enfants.

C’est horrible, on s’entend tous là-dessus. Mais ce n’est pas incompréhensible. Le Texas est le paradis des armes à feu. Les politiciens ne cessent d’y assouplir les règles. Depuis septembre 2021, les propriétaires d’armes de cet État peuvent même en porter une ouvertement, en public, sans permis ni formation. Un vrai Far West.

Là-bas, la culture du gun est fièrement encouragée – y compris par le gouverneur Greg Abbott. « Je suis gêné : le Texas est numéro 2 au pays pour les achats de nouvelles armes, derrière la Californie, tweetait-il en 2015. Accélérons le rythme, Texans. @NRA. »

Accélérons le rythme. Allons, Texans, achetons des armes, des tonnes d’armes. Plus que tous les autres États du pays ! Et puis, nous ferons semblant de nous étonner quand des malades finiront par s’en servir.

Il y a 10 ans, 20 enfants et 6 adultes ont été massacrés à l’école de Sandy Hook.

Depuis, les États-Unis ont été le théâtre de 3500 fusillades de masse. Environ une par jour. L’horreur frappe partout. Dans une église afro-américaine. Dans une discothèque gaie. Dans une synagogue. Dans un salon de massage. Dans un supermarché. Et dans des écoles : 45 fusillades en milieu scolaire par année, en moyenne.

C’est complètement fou. Et ça ne s’arrête pas. Au contraire, les Américains achètent des armes comme jamais pour protéger leurs familles. Paradoxe : plus ils craignent la violence, plus ils tentent de s’en protéger, plus ils créent les conditions pour l’engendrer.

Résultat, en 2020, les armes à feu ont dépassé les accidents de voiture pour devenir la principale cause de mort d’enfants aux États-Unis !

C’est insoutenable. Mais ça ne changera pas. La culture des armes est trop bien ancrée aux États-Unis. Au nom de la liberté, du droit sacro-saint à se balader avec un flingue, la plupart des républicains continueront à s’opposer à toute législation susceptible de mettre fin au carnage.

Chris Murphy, sénateur démocrate du Connecticut, s’est adressé à eux, mardi, peu après la tuerie. « Pourquoi êtes-vous ici ? », leur a-t-il demandé, la voix brisée par l’émotion. « Pourquoi passez-vous tout ce temps à vous présenter au Sénat des États-Unis si votre réponse, quand les massacres se multiplient, quand nos enfants courent pour sauver leur vie, c’est de ne rien faire ? »

Chris Murphy a ensuite joint ses mains en prière et supplié ses collègues de faire quelque chose pour que les tueries cessent enfin.

Ça ne risque pas d’être plus efficace que de prier Dieu.