Premier texte d’une série de deux – la suite sera publiée demain.

Amy Kaufman est une survivante de la violence conjugale.

Survivante : le mot n’est pas trop fort.

Pendant un an, son conjoint, Jonah Keri, l’a battue. La violence physique a suivi un cycle de manipulation coercitif, où Keri a pris le contrôle de la vie de la jeune Montréalaise.

Né à Montréal, Jonah Keri était un journaliste sportif en vue en Amérique du Nord, spécialisé en baseball, auteur d’un livre remarqué sur les Expos, l’équipe de son enfance.

De l’extérieur, Keri était un « bon gars », sympathique, charismatique et affable.

Mais dans l’intimité, il était un tyran violent.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jonah Keri, en janvier 2022

L’arrestation de Keri (en juillet 2019) et son procès (qui a pris fin quand il a plaidé coupable en août 2021) ont fait le tour de l’Amérique du Nord.

Amy Kaufman n’a révélé son identité qu’en mars dernier, après que Keri a été condamné à 21 mois de prison par le juge Alexandre Dalmau, au palais de justice de Montréal.

« Si ça peut m’arriver à moi, me dit la Montréalaise, ça peut arriver à n’importe qui. Et ça arrive à n’importe qui. Ma mère disait de moi que j’étais si forte qu’aucun gars n’oserait jamais me toucher. Et j’ai souvent dit que si un gars levait la main sur moi, il se réveillerait chez Urgel Bourgie… »

Amy n’avait eu que des relations saines, relate-t-elle, sans histoires de contrôle ou de violence.

Puis, sa mère est morte, un grand bouleversement dans la vie d’Amy. Cette jeune femme, confiante et forte, a perdu un point de repère dans sa vie, elle est devenue momentanément plus fragile. Plus vulnérable.

C’est à ce moment que Jonah Keri – alors ami du frère d’Amy, l’animateur de CJAD Dave Kaufman – a exploité cette vulnérabilité, comme on met un pied dans la porte, pour l’empêcher de se refermer…

« C’était comme s’il sortait d’un film romantique…

— D’un film romantique ?

— Il était parfait. Attentionné, à l’écoute, généreux… »

Jonah Keri habitait Denver, au Colorado, où il avait la garde partagée de ses deux enfants avec leur mère. Et il parcourait l’Amérique pour couvrir le baseball. Mais il trouvait toujours le temps pour appeler Amy à Montréal.

« Il m’appelait neuf, dix fois par jour, même s’il était occupé, même s’il couvrait les Séries mondiales. Il me faisait livrer des fleurs. Il m’écoutait, il m’écoutait si attentivement… Il parlait de moi, de ma mère décédée dans ses podcasts. J’étais la chose la plus extraordinaire au monde… »

Puis, un jour, Keri lui a dit : « Je vais venir vivre avec toi, je vais travailler de Montréal, je vais t’embaucher pour mes podcasts, tu as tellement de talent, j’ai besoin de toi, on pourra être ensemble tout le temps… »

« J’étais stupéfaite, dit Amy. J’avais déjà évoqué l’idée d’aller vivre au Colorado. C’était impossible pour moi d’imaginer qu’il vienne vivre à Montréal : il avait deux enfants à Denver… »

Je répète ce que j’ai écrit dans l’avant-dernier paragraphe, les mots de Jonah Keri à Amy : « Je vais venir vivre avec toi. »

Ce n’était pas une question, ce n’était pas une offre, c’était une affirmation. C’était aussi quelque chose comme le début du contrôle toxique de Jonah Keri sur la vie d’Amy : il lui a aussi dit qu’elle devrait fermer sa petite entreprise pour travailler avec lui. Ce qu’elle a fait. Et ce qui l’a financièrement inféodée à Keri.

Lentement, subtilement, le contrôle commençait.

Amy avait un souper avec des copines ?

Jonah Keri offrait de la conduire au restaurant… pour finalement s’imposer à la table, régalant les convives de ses anecdotes sur le jet-set sportif nord-américain, sympathique centre d’attention.

Mais à la maison, quand il était irrité, il devenait violent. « Des objets étaient lancés, dit Amy, des portes étaient claquées… »

Puis, il y a eu la chute de Harvey Weinstein, il y a eu les dénonciations du mouvement #metoo. Quelques mois plus tard, Jonah Keri a commencé à changer. « Il m’a dit avoir peur que son nom sorte, se souvient Amy. Il m’a dit : “Un jour, il y a eu cette fille, ça ne s’est pas bien passé, elle pourrait avoir mal compris mes intentions…” »

Puis, un autre aveu, une autre dénonciation qu’il craignait, une autre fille qui aurait « mal compris »…

(Le nom de Jonah Keri a été associé à des dénonciations du mouvement #metoo, mais après qu’il a été arrêté par la police de Montréal. Des femmes ont témoigné auprès de médias américains avoir subi ses inconduites sexuelles, au fil des années.)

Amy : « C’est là, cet automne-là, en 2017, que j’ai commencé à me poser des questions… »

Des questions sous la forme d’une petite voix dans son oreille, la voix du doute, une voix très faible, un chuchotement. « Je me souviens qu’après le concert de Roger Waters au Centre Bell, en octobre 2017, j’ai littéralement écrit sur un papier, pour moi-même : “Cette relation est le plus grand acte de foi de ma vie, j’espère que ce n’est pas une erreur…” »

Quelques mois plus tard, au printemps 2018, Amy était enceinte. En juillet 2018, Amy Kaufman et Jonah Keri se sont mariés.

Après le début de la grossesse, avant le mariage, les coups ont commencé.

La vidéo donne froid dans le dos. C’est une caméra de surveillance qui l’a captée, à l’été 2018, dans l’ascenseur de l’immeuble qu’habitait Amy Kaufman avec Keri, avant leur mariage. Elle faisait partie de la preuve présentée au procès de Keri.

Amy entre dans l’ascenseur. Keri la suit et lui plante un coup de tête sur le nez. Elle s’écroule. Il sort de l’ascenseur pour revenir aussitôt, quand Amy se lève. Il colle son visage sur le sien en l’empoignant, comme s’il l’embrassait…

Mais Keri ne l’embrasse pas : il la mord au visage.

Et Keri ressort à nouveau de l’ascenseur, avant d’y revenir en trombe, de gifler Amy et de lui cracher dessus.

La séquence dure 19 secondes, elle est terrifiante. Elle l’est encore plus, terrifiante, quand on sait qu’à ce moment-là, Amy Kaufman est enceinte. C’était quelques jours avant leur mariage.

L’épisode de l’ascenseur est seulement une des attaques subies par Amy Kaufman entre juillet 2018 et juillet 2019, la période que couvre la reconnaissance de culpabilité enregistrée par Keri pour mettre fin au procès.

Les sévices ont été nombreux et brutaux. Je cite le juge Alexandre Dalmau, le 23 mars, quand il a condamné Jonah Keri à 21 mois de prison : « M. Keri a frappé sa victime sur les genoux, l’a frappée à la tête et sur les oreilles, l’a poussée, l’a traînée au sol, l’a giflée, l’a mordue, lui a craché au visage, lui a donné un coup de tête, l’a secouée, lui a tiré les cheveux, l’a prise par les épaules en la menaçant de la lancer du balcon […], il a pris un couteau et a menacé de retirer le bébé de son ventre… »

En entrevue, Amy entre dans les détails des attaques, elle évoque la fois où Keri a commencé à l’étrangler dans leur nouvelle maison, en juillet 2019.

« J’ai réussi à me libérer, me dit-elle. J’étais terrifiée. Je suis montée à l’étage, j’ai googlé des mots à propos d’un chum qui vous étrangle… Et j’ai découvert que quand un conjoint vous étrangle – sans réussir –, votre risque d’être victime d’un féminicide explose de 800 %1. »

Elle a alors pris la décision de partir et de porter plainte. Les yeux rivés sur ces statistiques, elle savait désormais que rester avec Keri la rapprochait de la mort.

1. Lisez sur cette statistique (en anglais)

À LIRE DEMAIN : Pourquoi est-elle restée ? Pour une raison bien simple…