En matière de citation qui pourrit un débat, il est difficile de faire mieux.

« Je suis qui, moi, pour dire à une jeune famille : vu que la mode est à la densification, tu vas aller vivre dans une tour de 12 étages ? »

Elle vient du ministre des Transports, François Bonnardel, qui se défendait contre les critiques sur l’étalement urbain accéléré par le troisième lien Québec-Lévis.

Pour ceux qui ont manqué quelques épisodes, il n’existe pas encore de police militaire qui emprisonne les familles dans des gratte-ciels où la La semaine verte est diffusée en boucle*.

La liberté demeure, autant en matière de lieu de résidence que de divertissement télévisuel. Mais il n’y a rien d’hérétique à orienter le choix des gens.

Il y a une expression pour cela : faire de la politique.

Les caquistes aiment caricaturer les urbanistes en snobs qui méprisent les banlieues. De grâce, ne tombons pas dans ce piège.

Freiner l’étalement urbain, cela ne signifie pas que tout le monde doive habiter au centre-ville, et encore moins dans un gratte-ciel. Des banlieues comme Terrebonne peuvent aussi être densifiées.

Vous rêvez d’une maison à prix raisonnable avec une petite cour arrière ? Un arbre et des oiseaux ? Une piscine hors terre ? C’est correct. Il n’y a pas de mal à ça.

Le rapport du comité d’experts sur les changements climatiques ne contient aucun jugement de valeur. Il rappelle un fait : nos décisions individuelles ont aussi un coût collectif.

Le besoin d’espace des citoyens est légitime, mais l’État doit y répondre avec une vision d’ensemble qui sert l’intérêt public. Dans ce cas-ci, en trouvant la meilleure façon d’occuper le territoire.

En ce moment, ça ne fonctionne pas bien.

Quelques exemples :

  • En 2018, la congestion routière a coûté 4,2 milliards de dollars dans le Grand Montréal. En ajoutant les coûts indirects, la facture s’élève à 7,6 milliards.
  • Le transport routier – en excluant le camionnage – coûte entre 43 et 51 milliards par année.
  • En zone urbaine, les infrastructures (rues, distribution d’eau, égouts, distribution d’électricité) coûtent 1416 $ par ménage. En zone périphérique, la facture est 2,4 fois plus élevée.
  • Les VUS sont deux fois plus souvent impliqués dans des collisions avec des piétons qu’une voiture standard. Et lors des accidents avec d’autres véhicules, ils ont 28 % plus de risques de tuer**.
Lisez le rapport du comité d’experts sur les changements climatiques

Le comité d’experts pose la question : est-ce le modèle à privilégier ?

De toute évidence, non. Surtout pas quand on considère aussi l’impact sur l’environnement.

L’étalement urbain n’est pas une fatalité. De 2006 à 2016, Toronto s’est densifié. Mais Montréal et Québec se sont étalés. Leur deuxième couronne a bondi de 11 % et de 19 % respectivement par rapport à leur ville centrale.

Les voitures sont plus grosses et elles parcourent des distances plus grandes. Les maisons prennent également du volume.

Quant aux milieux humides et naturels, ils rétrécissent, ce qui augmente les risques d’inondations. Et le territoire agricole rapetisse, ce qui nuit à notre autonomie alimentaire.

Bien sûr, l’impact de cette bétonisation ne se mesure pas seulement en dollars. La nature ne se réduit pas à son utilité. Elle a aussi une valeur intrinsèque.

Le rapport du comité d’experts rappelle simplement que même en fonction d’une analyse économique, notre urbanisme est malade.

Le gouvernement Legault déposera bientôt sa Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire.

En l’attendant, on ne peut que le juger sur son bilan.

Sa vision est clientéliste. Le meilleur exemple : le plan vert qui repose surtout sur l’électrification des transports.

Il promet une révolution verte en changeant peu de choses, à part le type de moteur dans notre véhicule.

Vrai, il offre une option de rechange, le transport collectif. À Québec, le projet de tramway avance. Et à Montréal, la ligne bleue du métro sera prolongée, et le projet de REM de l’Est est à l’étude. Mais les routes restent deux fois plus financées que les transports en commun. Les dés sont encore pipés.

Si le nombre d’automobiles, même électriques, continue d’augmenter plus vite que la population, il y aura plus de congestion, d’étalement et de destruction de milieux naturels et de terres agricoles. Sans oublier le déficit commercial qui résulte de l’achat de voitures importées.

Les gens sont libres de choisir leur résidence et leur mode de déplacement. Mais l’État a un rôle : s’assurer que ces gestes individuels ne donnent pas une facture collective trop salée. Il doit établir des règles qui servent le bien commun.

À la question que se posait M. Bonnardel, on peut donc répondre assez facilement. Qui êtes-vous ? Mais vous êtes le ministre !

Heureusement, une nouvelle génération de mairesses et de maires assume ses responsabilités. Elle veut densifier et végétaliser les villes, favoriser le transport actif et collectif, assainir l’air et réduire la pollution sonore.

Cela peut exister hors du Plateau Mont-Royal. Comme à Drummondville, Granby ou Longueuil, dirigés par des mairesses vertes.

Elles ne jugent pas leurs citoyens. Elles ne veulent pas les séquestrer dans des tours. Elles cherchent simplement un autre modèle pour améliorer leur qualité de vie.

Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un projet rassembleur.

* À noter que s’il fallait choisir une émission à regarder à perpétuité, La semaine verte ne serait pas un mauvais choix.

** Cette statistique sur les VUS vient d’Équiterre, et non du comité d’experts.