Il y a eu une petite leçon à retenir pour Justin Trudeau dans le débat sur l’avortement : ne tirez pas sur un adversaire blessé. Cela pourrait se retourner contre vous.

En anglais, on parle d’overkill.

Cette erreur, le chef libéral l’avait commise lors de la dernière campagne électorale. Il avait promis de rendre la vaccination obligatoire pour tous les fonctionnaires. Puis il s’était indigné que les conservateurs prévoient des exceptions. C’était un piège un peu trop visible pour que les bleus y posent le pied. Ils ont rappelé que de l’aveu même de la fonction publique, même avec la promesse libérale, des exemptions et des accommodements seraient autorisés. Ce qui était précisément leur position.

Il aurait été plus prudent de laisser les conservateurs expliquer eux-mêmes comment leurs candidats qui refusent le vaccin feraient pour combattre la pandémie une fois au pouvoir.

Politiser la vaccination était risqué. C’est vrai aussi pour l’avortement.

Mercredi, M. Trudeau a été pressé de questions après la fuite du jugement de la Cour suprême américaine qui invaliderait Roe c. Wade. Allez-vous légiférer sur l’accès à l’avortement ? lui ont demandé les reporters.

« Je ne l’écarte pas, mais ce n’est pas la seule façon de le faire », a-t-il répondu.

Peut-être était-ce une formulation calculée, pour mettre au défi les conservateurs d’y réagir et rappeler au passage que près de 40 de leurs députés sont anti-choix.

Peut-être était-ce aussi une maladresse de la part de M. Trudeau, qui essayait dans le feu de l’action de répondre aux questions insistantes des médias.

Chose certaine, il assure maintenant qu’il ne le fera pas. Tant mieux. Car ce serait une idée dangereuse.

En 1988, la Cour suprême du Canada a invalidé la criminalisation de l’avortement. Par défaut, il est donc permis. Ce droit a ensuite été confirmé par la jurisprudence. Il est solide.

Toutefois, à l’époque, la Cour n’empêchait pas le Parlement de voter une loi pour encadrer cet acte.

Tant sous M. Harper que sous MM. Scheer et O’Toole, les conservateurs ont promis que leur gouvernement ne le ferait pas. Cela aurait été suicidaire. Selon un sondage Meru publié en janvier 2020, à peine 10 % des Canadiens le souhaitent.

Mais cela pourrait changer si le gouvernement Trudeau adoptait une loi. Elle risquerait d’avoir l’effet contraire de ce qui est souhaité.

Le droit à l’avortement est déjà protégé. Il y a peu à gagner à le réaffirmer dans une loi. Mais il y a beaucoup à perdre. Car si un futur gouvernement voulait le restreindre – par exemple après un certain nombre de semaines de grossesse –, il n’aurait qu’à changer la loi.

Ce serait moins difficile. Ce pourrait être perçu comme une simple modification à une loi. Et non comme une attaque à un jugement de la Cour suprême fondé sur les droits fondamentaux (article 7 de la Charte canadienne des droits).

Une telle attaque risque peu de survenir, et encore moins de réussir. Mais ce qui est certain, c’est que la meilleure manière de l’empêcher, c’est de ne pas ouvrir la porte avec une loi aussi inutile que dangereuse.

Si on relit la citation de M. Trudeau, il précise que légiférer n’est pas l’option privilégiée. Son programme électoral le confirme, tout comme la lettre de mandat de son ministre de la Santé Jean-Yves Duclos.

Si le droit à l’avortement est protégé, son accès demeure inégal. La priorité devrait être là. Elle concerne d’abord les provinces, mais le fédéral peut aussi jouer un rôle.

Les libéraux examinent deux options pour l’améliorer.

La première est de sanctionner les provinces où l’accès est si déficient que certaines femmes doivent payer de leur poche ce service médical.

Par exemple, le Nouveau-Brunswick l’offre seulement dans les hôpitaux de Moncton et Bathurst. Bonne chance si vous êtes une femme de 18 ans qui habite en région éloignée.

Cela peut contrevenir à la Loi canadienne sur la santé. Le fédéral peut imposer une pénalité financière. D’ailleurs, il l’a déjà fait. En 2021, la province maritime a perdu 140 000 $ en transferts en santé. Soit la somme équivalant aux dépenses encourues par les femmes lésées. C’est 0,00001 % du budget de la province. Pas très dissuasif…

Voilà pourquoi les libéraux agissent sur un autre front, en finançant les groupes communautaires pro-choix. Un appel de propositions a été lancé il y a quelques semaines. L’enveloppe totalise 45 millions de dollars.

Cette annonce a toutefois été peu médiatisée. Avec la décision tragique de la Cour suprême américaine, M. Trudeau croyait avoir trouvé une façon de raviver le débat chez nous, pour montrer la division à ce sujet chez les conservateurs. Mais par maladresse, il a ouvert, pendant quelques instants du moins, une porte dangereuse.

La vaccination obligatoire et l’avortement sont deux sujets très distincts, mais ils ont une chose en commun : leur récupération partisane est risquée.