Je ne sais pas si c’est de la candeur ou de l’effronterie.

Pour justifier l’abandon de la réforme du mode de scrutin, la ministre responsable, Sonia LeBel, a osé cette explication.

Selon elle, la Coalition avenir Québec (CAQ) s’était seulement engagée à déposer un projet de loi. Pas à l’adopter.

En d’autres mots : nous avions promis de faire semblant d’agir. Notre promesse de vent de changement ne comprenait que la portion « vent ».

Comme on dit dans les infopubs frimeuses, le volet « changement » était vendu séparément.

Pendant ce temps, notre déficit démocratique se creuse. D’après les projections du site Qc125, si les élections avaient lieu aujourd’hui, la CAQ récolterait 42 % des votes (marge d’erreur de +/- 5 %). Cela lui donnerait environ 99 sièges (entre 81 et 106 sièges, selon la marge d’erreur).

J’ai compilé les résultats des élections depuis les années 1950.

En 2018, l’écart entre le pourcentage de votes et de députés était le plus grand depuis les années 1980.

Et ce serait pire si les élections se déroulaient aujourd’hui. Avec 42 % des votes, la CAQ aurait près de 80 % des sièges.

Pour trouver un tel écart, il faut remonter à 1973. À l’époque, l’Union nationale s’effondrait et le Parti québécois prenait son envol. On pouvait anticiper un nouveau cycle de bipartisme et d’alternance du pouvoir.

C’est différent aujourd’hui. L’opposition est divisée et affaiblie. Les partis sont plus nombreux à se partager le même budget parlementaire. Ils ont moins de moyens pour embaucher du personnel afin de surveiller le gouvernement.

Cela se voit à l’Assemblée nationale.

Bien sûr, l’opposition pourrait s’aider. Elle a déjà été plus habile…

Et à leur décharge, les caquistes ont adopté moins de bâillons que les libéraux de Philippe Couillard et de Jean Charest. Ils ont aussi consacré de longues heures à l’étude de projets de loi, comme la réforme de la loi 101 et du Code du travail.

Mais leurs affrontements avec des institutions indépendantes comme la commissaire à l’éthique montrent que les jeunes partis ne sont pas épargnés par une vieille tradition : le pouvoir qui monte parfois à la tête.

En mai 2018, François Legault et ses homologues du Parti québécois, de Québec solidaire et du Parti vert signaient un pacte pour adopter un mode de scrutin proportionnel.

Une fois au pouvoir, M. Legault a annoncé que la réforme serait soumise à un référendum. Il n’en avait pas parlé en campagne électorale. N’empêche que cela respectait le sens de son engagement et que c’était justifié démocratiquement.

Puis la pandémie est arrivée. Le sujet paraissait secondaire. La promesse a été reportée, ce qui était compréhensible.

Mais l’été dernier, le gouvernement caquiste a pris la décision en coulisses : la réforme du mode de scrutin serait carrément abandonnée.

La nouvelle a été annoncée le vendredi 17 décembre, en fin d’après-midi. Quand les journalistes finissaient leurs dossiers de fin d’année, que les députés de l’opposition étaient retournés chez eux et que les Québécois pensaient à Noël ou à leur résultat de test de COVID-19…

Sur le plan des communications, c’était du beau travail. Les funérailles sont presque passées inaperçues.

Qu’est-ce qui a changé ?

Les députés de la CAQ ne voulaient pas remplacer l’excellent système qui les a fait élire.

Le gouvernement Legault jure toutefois qu’il ne suit pas seulement ses intérêts partisans. En cette sortie de pandémie, sa priorité est de réparer le réseau de la santé et d’améliorer les autres services. Et il croit que la population ne souhaite aucunement une telle réforme. Surtout en région.

C’est possiblement vrai. N’empêche qu’il y a une excellente façon de le vérifier : passer au vote.

Le projet de loi est déjà écrit. Pourquoi ne pas l’adopter et le soumettre en référendum d’ici 2026 ? On pourrait enfin clore le débat qui, pour l’instant, se fait entre experts.

Les caquistes ont été influencés par le politologue Christian Dufour. Dans son essai Le pouvoir québécois menacé⁠1, il soutient que la réforme créerait des gouvernements instables qui peineront à défendre la nation. Le risque existe en effet. Mais un autre universitaire, Alain Noël, réplique que ce « pouvoir québécois » proviendrait plus des consensus entre partis que des majorités parlementaires⁠2.

Ce débat commençait à peine, mais il est déjà enterré.

La réforme ne serait pas sans inconvénient, et un parti a le droit de changer d’idée. Mais cela vient avec un risque : que ses promesses futures perdent en crédibilité.

1. Lisez un extrait du livre de Christian Dufour 2. Lisez l’analyse d’Alain Noël