Je me demande comment Steven Guilbeault le militant écologiste aurait accueilli un plan comme celui qu’il vient de déposer. Probablement avec quelques éloges, plusieurs questions et un peu de déception aussi.

Son plan est difficile à qualifier. Tout dépend des attentes et du niveau de lecture.

C’est le meilleur plan climat jamais présenté par le fédéral, et de loin⁠1. Chaque secteur industriel reçoit des objectifs. Et pour la première fois, le secteur pétrolier et gazier n’est pas épargné. Il devra enfin réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). De 31 % en 2030 par rapport au niveau de 2005.

Mais le document de M. Guilbeault reste incomplet. Le coût et l’effet des mesures ne sont pas chiffrés. Difficile de savoir comment chaque secteur ferait pour atteindre sa cible. Et même si c’était le cas, cela demeurerait insuffisant pour respecter les mises en garde des climatologues.

Voilà le résultat de décennies d’inaction, de déni et d’hypocrisie.

Pendant que d’autres pays réduisaient leurs émissions de GES, le Canada a augmenté les siennes. Depuis 1990, elles ont bondi de 18 %. Et elles ont monté chaque année depuis 2015.

À cause de ce retard, le Canada part de très loin. Les efforts à faire sont donc énormes.

La cible de M. Guilbeault ne permet pas encore au Canada de fournir sa part d’effort pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.

Sur le plan de la science climatique, c’est décevant. Mais une lecture politique mène à une conclusion plus nuancée.

L’environnement est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces. M. Guilbeault veut diminuer les émissions de GES du secteur pétrolier et gazier sans être poursuivi par l’Alberta et la Saskatchewan. Deux options s’offrent à lui : passer par la Loi sur la protection de l’environnement (plutôt simple, mais risqué juridiquement) ou par la tarification nationale du carbone (compliqué, mais moins litigieux).

M. Guilbeault est le premier ministre à chercher une telle solution, mais il est encore loin de l’avoir trouvée. Et en attendant, l’urgence climatique augmente.

Je comprends certains écologistes d’être déçus par cette cible. Mais si elle était atteinte, ce serait déjà un petit miracle. Elle requiert une réduction d’environ 40 % des émissions du secteur pétrolier et gazier par rapport au niveau actuel. Et ce, en seulement huit ans !

Or, aux yeux de l’Alberta et de la Saskatchewan, le simple fait de plafonner les émissions équivaut à une déclaration de guerre.

Cela explique les crédits d’impôt annoncés pour la capture du carbone. On saura d’ici quelques jours dans le budget si c’est une aide modeste ou un cadeau pour acheter la paix.

Pour l’instant, cette technologie sert surtout de prétexte à l’industrie pour poursuivre son expansion. Mais tant mieux si le crédit d’impôt l’incite à réduire son empreinte au lieu de verser des dividendes à ses actionnaires.

L’alliance des libéraux avec les néo-démocrates donnera un peu de temps à M. Guilbeault pour se mettre au travail. Il sera toutefois sous haute surveillance. Les conservateurs récupèrent déjà la guerre en Ukraine pour proposer d’exporter plus de pétrole et de gaz.

Les libéraux prévoient que le Canada haussera ses exportations de pétrole et de gaz de l’équivalent de 300 000 barils cette année pour remplacer le marché russe.

Comme solution à très court terme, cela se défend. Mais ce n’est pas une excuse pour abandonner l’autre combat : celui du dérèglement climatique qui mènera à des conflits, des réfugiés et des morts. Et ce, de façon hélas très durable.

L’agression russe n’est pas un argument pour miser davantage sur les énergies fossiles. Selon l’Allemagne, c’est plutôt la preuve qu’il faut s’en libérer autant que possible. Elle a réduit ses émissions de GES de 35 % depuis 1990, et Poutine l’incite à accélérer sa transition énergétique.

Des pays exportateurs de pétrole et de gaz réduisent eux aussi leurs émissions. La Norvège a réduit les siennes de 13 % depuis 2013.

Selon le scénario de carboneutralité de l’Agence internationale de l’énergie⁠2, la demande de pétrole devrait baisser de 75 % d’ici 2050. Le marché serait alors limité aux gisements les moins coûteux et polluants. Dans les deux cas, le Canada est mal positionné. Ce n’est plus une énergie d’avenir.

Outre l’imprécision sur le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier, le plan libéral compte quelques autres omissions.

M. Guilbeault est seulement ministre depuis cinq mois. Le dépôt rapide de son plan montre qu’il ne perd pas de temps, mais son mandat passera vite.

Il devra expliquer bientôt comment atteindre ses cibles de réduction pour les transports, les bâtiments, les industries et l’agriculture. L’espace manque ici pour les analyser. Pour résumer, sa stratégie consiste essentiellement à resserrer et à bonifier les programmes existants.

En 2023, le gouvernement libéral devra faire un bilan provisoire des résultats. À cause de l’empilement de toutes ces politiques, il sera difficile d’isoler l’effet de chacune.

Cette complexité est un problème. La peur viscérale de déplaire aux électeurs en est un autre. Le plan libéral entretient le mirage d’une révolution énergétique tout en douceur. Le titre semble d’ailleurs venir du service du marketing : « Prochaines étapes du Canada pour un air pur et une économie forte ». Comme si cela se ferait presque à notre insu.

La réduction rapide des émissions de GES exige pourtant une transformation radicale de notre mode de vie. Mais cela, aucun stratège ne veut le dire à la population.

Il est aussi là, le problème.

1. Lisez le plan de Steven Guilbeault 2. Lisez le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (en anglais)