Alors, comment vous la vivez, cette guerre ? Je sais, elle est bien loin de chez nous. À Montréal, les plus grands dangers, ce sont toujours l’Omicron et les trottoirs glacés. Rien à voir avec la réalité des Ukrainiens, ce matin. Imaginez, être bombardés. À répétition. Entendre siffler l’obus, et se demander s’il tombera sur votre maison. La guerre est un attentat terroriste qui n’en finit pas.

On est mal placés pour se plaindre. Quand notre plus grande préoccupation, c’est l’organisation de la semaine de relâche. Mais quand même, elle nous atteint, cette guerre. Je dirais même qu’elle nous fait peur. Très peur. On regarde les nouvelles et on a l’impression de revoir un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale. Vous savez, ces documentaires qui nous fascinent tellement. Qu’on regarde en se rassurant, en se disant que le monde est mieux maintenant. Vraiment ?

Tous les ingrédients sont là. Un mur qui tombe. Un empire déchu. Un autre empire qui en profite pour agrandir son influence. Un dictateur qui promet à sa nation de lui redonner sa puissance, pour mieux imposer la sienne. Et des dirigeants autour qui ne pensent qu’à leurs intérêts financiers. Nos aînés ont déjà joué dans ce film. Nos enfants feront-ils partie du remake ?

Bon, excusez-moi. Ce ne sont pas des propos qui vont vous aider à relâcher. Et Dieu sait que vous en avez besoin. Après ces deux années d’angoisse quotidienne. À craindre l’invisible. Est-ce qu’on peut juste avoir la paix ? Il semble que non.

Qu’est-ce qu’on fait ? On ne regarde plus les nouvelles ? De nos jours, ce n’est pas nous qui regardons les nouvelles, ce sont les nouvelles qui nous regardent. Elles apparaissent partout, sur notre téléphone, sur nos écrans. On sait tout, sans le vouloir. Les vraies infos, comme les fausses. Impossible de leur échapper.

Il faut donc apprendre à les intégrer. À s’en servir. À en tirer des leçons.

C’est un peu honteux à avouer, mais le conflit en Ukraine nous aide à accepter notre sort. Soudain, ça nous agace moins d’attendre au 14 mars pour retourner au karaoké. On apprécie la chance qu’on a de n’avoir jamais vécu l’horreur des conquêtes armées.

Et puis, il y a notre prodigieuse faculté d’adaptation. De filtration. Là, on est sous le choc, parce que la guerre vient tout juste d’éclater. On est pris de court. On est éberlués. Mais dans quelques jours, on va retrouver nos sens. On finit toujours par s’habituer aux drames, surtout les drames des autres. Une nouvelle ne reste jamais nouvelle longtemps. Il y a toujours une nouvelle nouvelle pour faire d’elle une ancienne.

Dans un mois, l’Ukraine ne sera peut-être plus en manchette. Ce sera bon pour notre moral, mais terrible pour la suite des choses. C’est toujours dans l’indifférence générale que naissent les pires horreurs. La guerre en Ukraine, ça faisait des années qu’elle se préparait, pendant qu’on regardait ailleurs.

Pas facile d’être un humain, en 2022. Si on s’en fait trop pour l’humanité, on met en péril notre santé mentale. Et si on ne s’en fait pas assez pour elle, on devient coupable par omission.

Alors, on balance entre les deux. En se posant l’obsédante question : comment peut-on changer ça ? Comment peut-on changer ça ?

C’est tellement au-dessus de nous, la guerre. Et tellement au-dessus de ceux qui la font. Et tellement au-dessus de ceux qui la subissent. Un jour, il faudrait que tous ceux qui sont en dessous cessent de servir ceux qui sont au-dessus.

Je sais, ça sonne complotiste. Mais c’est tout le contraire. Il y a une marge entre imposer le port du masque pour protéger la santé des gens et déclarer la guerre, donc la mort de milliers de gens. C’est dans ces plans-là qu’aucun peuple ne devrait embarquer.

En attendant, on subit. On commente. Des sanctions économiques, est-ce que ça peut arrêter l’envahisseur ? Dans tous ces marchés avec les Russes, chaque partie y trouvait son profit. Ce n’étaient pas des dons. En quoi y mettre fin ne fera mal qu’à un seul côté ? Pendant qu’on explique, des bombes viennent d’exploser. S’horrifier, angoisser, compatir, critiquer, se questionner, se sentir rien du tout, rêver à un monde meilleur, puis poursuivre sa vie, en l’appréciant un peu plus. Et vous, comment vivez-vous la guerre ?