Regardez-vous encore les matchs du Canadien ? Moi oui. Pourquoi ? Bonne question. Je me le demande aussi. Pourquoi regarder les matchs d’un club qui perd tout le temps ? Trente-quatre défaites en 42 parties. C’est 80 % de soirées gâchées. C’est plein de petites déceptions avant d’aller au lit. Quand il y a tellement mieux à voir, à lire, à écouter, à apprécier. Pourquoi s’infliger un si fâcheux spectacle ?

On n’est qu’à la mi-saison et tout est déjà joué, tout est déjà perdu. Il reste une quarantaine de matchs, sans aucune signification. Et ce qui est le plus déprimant dans tout ça, c’est que j’ai bien peur de continuer à les suivre quand même. Pourquoi ? C’est quoi, mon problème ? Suis-je à ce point paumé ?

Il y en a qui se consolent des déboires du CH en se disant que ça augmente ses chances d’obtenir le premier choix au prochain repêchage. Vrai. Ce n’est qu’en perdant qu’il peut encore gagner quelque chose.

Mais même en sachant cela, on ne s’assoit pas devant un écran en souhaitant voir son club préféré être dominé. Les joueurs n’ont pas besoin de moi pour être pourris. C’est pas vrai que je vais me réjouir pour chaque but qu’ils vont laisser passer. La tête est stratégique. Le cœur ne l’est pas.

Quand on sacrifie trois heures de sa vie, ce n’est pas pour contenter sa tête, c’est pour faire plaisir à son cœur. Alors, qu’est-ce que je fais à perdre mon temps trois fois par semaine ? Suis-je aussi loser qu’eux ?

Si au moins il y avait un joueur, un seul, qui donnait un bon show. À Edmonton aussi, ils perdent souvent, depuis un bon bout de temps, mais il y a Connor McDavid pour faire vivre des sensations fortes aux partisans. Chez nous, personne. Il n’y a que l’organiste Diane Bibaud qui met la pédale au fond. Pour le reste, ça se limite à des flashs, ici et là. Un bel arrêt de Montembeault. Un bon tir de Suzuki. Un gros effort de Pezzetta. On en est rendus là. À apprécier l’abnégation des vaincus.

Plus j’écris, moins je sais pourquoi je suis là quand le Canadien y est. Même pas au complet. Pourquoi son sort m’intéresse encore ? Minute par minute, jusqu’à la sirène de la fin.

Quand quelque chose ne s’explique pas, une seule raison est possible : l’amour. Pis pas juste une amourette. Faut aimer le CH rare pour le regarder aller cette année. Ça prend un amour inconditionnel. C’est pas mêlant, le Canadien est mon enfant. Et je suis le parent qui se les gèle à l’aréna. Parce que je l’aiiime, mon gars !

Il a beau patiner sur la bottine, tirer à côté, s’enfarger dans la ligne bleue, je ne le lâche pas. Beau temps, mauvais temps. C’est mon kid. J’irai pas adopter le voisin, même s’il est bien meilleur que lui. Le p’tit Colorado ou le grand Tampa Bay. Le mien, c’est le Canadien, alors je m’arrange avec ça.

On est de nombreux parents à avoir le CH en garde partagée. Si on se fie à l’audimat des rencontres diffusées sur RDS et TVA Sports, quelques centaines de milliers. Moins qu’avant. Mais une CH de grosse gang pour le piètre spectacle présenté.

La question est de savoir : on va endurer le manque de talent de notre p’tit pendant combien de temps ? Si on oublie le miracle de la Saint-Jean, ça commence à faire une escousse qu’on est pris dans le tunnel. Et la lumière qu’on voit au bout, c’est la lumière rouge de l’adversaire qui vient de scorer.

Le Canadien est une affaire de famille. Beaucoup d’observateurs ne comprennent pas pourquoi il prend autant de place dans le paysage médiatique. C’est parce que ça fait 113 ans qu’il existe. C’est long, 113 ans, dans un pays vieux de 155 ans. Ça creuse de longues racines. De dynastie en dynastie, il a créé un sentiment d’appartenance si fort qu’on sera nombreux à le regarder perdre, samedi. Je sais, on ne sait jamais. Tant mieux s’il me fait mentir.

S’il gagne, ce sera bien. Mais ça ne changera rien. Personne ne partira en peur et ne prédira la Coupe Stanley. Cette saison, on ne peut même pas rêver. Même pas fabuler. C’est le plus grand danger. Ne pas pouvoir être passionné. À la longue, ça tue l’amour, aussi grand soit-il.

À un moment donné, on peut dire à notre enfant : tu serais peut-être meilleur au soccer.

Ne jamais tenir le fan pour acquis.

Propriétaire, vice-président directeur aux opérations hockey, directeur général, si les partisans sont toujours accrochés, c’est à cause des Richard, Béliveau, Dryden, Lafleur, Savard, Robinson, Roy… Vous leur devez beaucoup. Ne gérez jamais cette équipe comme si tout commençait avec vous.

Ceux qui ont connu les grandes années ont le lien bien serré. Les nouvelles générations risquent de débarquer plus facilement. Il reste de moins en moins de temps pour sauver ce que le Canadien est.

Bon match à toutes celles et à tous ceux qui le regarderont !