« Dès mon arrivée. »

Voilà quand Luc Boileau, directeur national de santé publique par intérim, a décidé d’ouvrir un canal de communication direct avec les citoyens, sans la présence du gouvernement.

En interview en fin de journée, il m’explique ne pas avoir hésité. Les conférences de presse avec François Legault et Christian Dubé sont à ses yeux un rituel imparfait. « On n’a pas toujours l’occasion de prendre le temps de bien développer nos réponses. La santé publique n’est pas une science exacte. C’est une science appliquée qui vient avec beaucoup de nuances… »

Pourtant, on a failli ne pas l’apprendre mardi après-midi. L’attaché de presse de M. Legault lançait son habituel « prochaine question ! » quand le Dr Boileau a levé le petit doigt.

« Et je pourrais ajouter, si vous me permettez ? »

On le lui a bien sûr permis. Sans contredire le premier ministre, il a été plus loquace.

Un collègue venait de demander si les conférences de presse communes avec le gouvernement et le Dr Boileau devraient être maintenues.

Oui, a répondu en substance M. Legault, sans reconnaître de légitimité à ses critiques.

Le Dr Boileau veut maintenir cette formule tout en la complétant. Il s’adressera parfois directement à la population, seul ou avec son équipe de scientifiques.

La pression était forte. Au début de l’hiver, le Collège des médecins posait une excellente question : quand le directeur parle, est-ce en tant que sous-ministre adjoint de Christian Dubé ou plutôt à titre de scientifique qui défend les recommandations des experts ? La commissaire à la santé et au bien-être s’est aussi inquiétée de la confusion créée par ces deux chapeaux.

Selon M. Legault, ce ne serait qu’un problème de « perception ». Mais quand les perceptions viennent d’institutions indépendantes et crédibles, on ne peut les ignorer.

L’annonce du Dr Boileau n’était pas prévue. Peut-être parce qu’elle n’est pas si inusitée. Après tout, la Santé publique menait déjà parfois de tels exercices, en plus des interviews du Dr Arruda aux médias.

Mais c’était trop sporadique, aux yeux du Collège des médecins et de la commissaire à la santé.

Au téléphone, le DBoileau indique que sa première sortie solo ne tardera pas.

Je veux d’abord répondre aux questions sur les grands sujets de l’heure : le déconfinement, la troisième dose et des éléments pour lesquels la science se révise, comme la période de contagion.

Le Dr Luc Boileau, directeur national de santé publique par intérim

Et ses avis seront-ils écrits ? « Oui, pour tous les thèmes qui s’y prêtent. » Il donne trois exemples : le retour en classe, la levée du couvre-feu et l’élargissement du passeport vaccinal.

Un certain cliché entourant ses avis risque de se défaire. La Santé publique n’écrit pas en amont un rapport avec une recommandation précise que la cellule de crise accepte ou refuse. C’est plus organique.

Le Dr Boileau me parle à nouveau de l’école. La réflexion s’était prolongée tard en soirée un mardi avant que la décision soit prise le lendemain, alors que le temps pressait. « On n’avait pas toujours le temps d’écrire l’avis [à l’avance]. »

La santé publique est à l’intersection de la science et de la politique. Il est normal que le directeur n’ait pas un avis neutre, objectif et irréfutable.

Dans le calcul des avantages et des inconvénients, on doit comparer des pommes et des oranges. Par exemple, pour savoir s’il faut permettre les rassemblements à domicile, quel poids relatif accorder à la santé mentale par rapport au risque d’éclosions ? Il n’existe pas une unité de mesure commune pour les soupeser.

Pour le risque de rouvrir les restaurants ou les salles de spectacles, la réponse contiendra presque autant d’adjectifs que de chiffres. Voici ce que m’a résumé le DBoileau : « Si les conditions sanitaires sont bien respectées, comme elles le furent, c’est assez sécuritaire, mais n’oublions pas qu’Omicron est nettement plus contagieux… »

La Santé publique recourt elle aussi aux sondages afin d’évaluer l’humeur de la population et son adhésion aux consignes. Si elles sont trop sévères, les gens risquent de s’en désolidariser.

Face à de telles incertitudes, il faut faire des arbitrages. Des choix politiques.

Il est là, le malaise. Quand il assiste aux annonces, le directeur national défend implicitement ces arbitrages dont il n’est pas l’ultime responsable. Il y donne sa caution.

En même temps, comme l’a notamment souligné l’ex-ministre de la Santé Réjean Hébert, la participation du directeur à la cellule de crise est un atout – il influence les décisions au lieu de les commenter après coup. Et sa présence en conférence de presse comporte également un avantage. Il peut répondre aux questions plus techniques.

Si le directeur a des réserves face à la décision, il est en principe libre de les dire à ce moment. Mais il ne choisit pas les questions qu’on lui pose et il a peu de temps pour s’expliquer. Un bon exemple : il avait fallu attendre la longue comparution du Dr Arruda en commission parlementaire, en décembre 2020, pour apprendre qu’il n’avait pas recommandé la fermeture des restaurants.

Voilà pourquoi le Dr Boileau devrait parler plus souvent sans le gouvernement. Cela dit, j’ai l’impression qu’on sera déçu.

Dans les dernières semaines, la Santé publique a offert des breffages techniques sur quelques sujets, comme le masque N95. Mais puisque son message était nuancé et ne contredisait pas le gouvernement, il est passé inaperçu…

Peu importe. L’essentiel est que le Dr Boileau et ses collègues prennent le micro sans les élus, en ayant tout le temps de s’expliquer. On pourra le juger à l’usage.