La semaine qui s’achève a été désastreuse pour Stephen Bronfman et son groupe, qui cherchent à ramener le baseball majeur à Montréal.

Mardi dernier, la manchette de La Presse révélant que leur demande de contribution financière au gouvernement du Québec pourrait atteindre des « centaines de millions » a provoqué, à juste titre, un tollé. Les partis de l’opposition, les analystes et des milliers de citoyens ont exprimé un sain scepticisme (je suis poli !) face à l’idée que l’opération se ferait à coût nul pour les contribuables.

Dans ce contexte chaud, on aurait pu croire que le Groupe Baseball Montréal réagirait publiquement afin de défendre son projet. Mais non, même si la bataille des communications est engagée. S’il s’agissait d’un match de baseball, les promoteurs accuseraient déjà un retard de 5-0 en troisième manche.

Pourquoi cet étonnant silence ? Mes informations, validées auprès de gens proches du dossier, m’indiquent que cette discrétion n’est pas guidée par un désir d’opacité.

Au contraire, Bronfman et son groupe sont convaincus qu’ils présenteront, sans doute au premier trimestre de 2022, un plan porteur pour le secteur Bridge-Bonaventure, susceptible de créer un effet « wow » à Montréal.

Ils espèrent que l’aiguille de l’opinion publique bougera ensuite de leur côté.

Dans leur esprit, il est cependant fondamental de ne pas court-circuiter les étapes en cours, jalonnées d’entretiens délicats. D’abord avec le gouvernement du Québec, ensuite avec la Ville de Montréal.

Les chiffres de retombées financières soumis par le Groupe Baseball Montréal sont décortiqués avec attention par le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon et ses spécialistes, qui posent de nombreuses questions et multiplient les vérifications. Et si Valérie Plante ne nage pas en plein inconnu quant aux intentions de Bronfman, la rencontre cruciale où il lui dévoilera son plan précis n’a pas encore eu lieu. On sait néanmoins que c’est pour bientôt.

Comment réagira la mairesse ? Là-dessus, les paris sont ouverts. Mais une chose me semble claire : les promoteurs sont parfaitement conscients des politiques et des engagements de l’administration Plante en matière de développement urbain, comme le nombre de logements sociaux dans les projets immobiliers, l’accès à des espaces verts de qualité et l’intégration harmonieuse des édifices, stade ou autre, à l’environnement ambiant. À moins d’une immense surprise, leur concept respectera ces priorités.

Autre facteur à considérer : comme mon collègue André Dubuc l’a révélé en juin dernier, le Groupe Baseball Montréal est conseillé par l’architecte urbaniste Clément Demers, qui a contribué au développement du Quartier international de Montréal et du Quartier des spectacles. Sa réputation est excellente.

En revanche, dans des entreprises de si grande ampleur, le diable est souvent dans les détails. Il ne faut donc pas présumer que le plan soumis profitera de la nécessaire acceptabilité sociale.

La prudence du Groupe Baseball Montréal sur le plan des communications s’explique aussi par une réalité très simple : dans cette affaire, Montréal est à la remorque de Tampa, et non l’inverse.

Les Rays désirent aussi un nouveau stade pour l’équipe à garde partagée. Leur domicile actuel est situé à St. Petersburg, en banlieue de Tampa. Ils veulent maintenant s’établir dans la ville-centre et sont en discussions avec la mairesse Jane Castor, qui accueille favorablement l’idée. Selon le Tampa Bay Times, elle présentera bientôt divers scénarios de contribution financière aux Rays. L’État de la Floride sera aussi sollicité.

Avant de déclencher un véritable processus de consultation à Montréal, durant lequel Bronfman et son équipe présenteront leur projet et les groupes intéressés – partisans et opposants – exprimeront leurs points de vue, il faut la quasi-certitude que Tampa foncera dans l’aventure. Sinon, ce sera du temps perdu.

Le baseball majeur doit aussi donner son accord pour que l’affaire décolle. Des analystes croyaient que cette approbation surviendrait dès la fin de la dernière saison. Le déclenchement d’un lock-out retarde cependant les choses. La conclusion d’une nouvelle convention collective avec l’Association des joueurs est, pour l’instant, la grande priorité du commissaire Rob Manfred et des propriétaires d’équipe.

Le retour du baseball majeur à Montréal alimente l’actualité depuis plusieurs années. Nous arrivons enfin à l’heure de la décision. C’est en 2022 que le Groupe Baseball Montréal remportera ou perdra son pari.

Aujourd’hui, miser sur ses chances de victoire serait osé. Les contribuables sont pour la plupart réticents à l’idée que des fonds publics financent une industrie de divertissement milliardaire, même dans un cadre de développement plus global.

Vendre le projet à la population sera donc une tâche gigantesque. Mais les promoteurs sont bien préparés.

Depuis des mois, j’entends dire qu’une somme étonnante de travail est réalisée en coulisses. Après vérifications, je mesure mieux le sérieux de cette affirmation. Des groupes conseils ont été formés en économie, en tourisme et même en innovation/écoresponsabilité. Beaucoup de gens apportent leur contribution.

Si Tampa Bay fonce dans l’aventure et si le baseball majeur donne son accord à la garde partagée, les promoteurs du Groupe Baseball Montréal convaincront-ils la population d’appuyer leur projet ?

Pour cela, ils devront remplir deux conditions essentielles.

D’abord, prévoir des retombées économiques à la fois prudentes – l’enflure les servirait très mal – et supérieures à la contribution du gouvernement. Et démontrer sans équivoque que ces retombées seront réelles et vérifiables.

On peut donc s’attendre à une actualisation des chiffres ayant circulé, notamment à propos de l’impôt perçu par le Québec sur les salaires des joueurs. Pour satisfaire le baseball majeur et l’Association des joueurs, une équipe en garde partagée aurait certainement une masse salariale beaucoup plus élevée que celle des Rays la saison dernière. Avec, par conséquent, des rentrées fiscales plus importantes pour le gouvernement que la somme de 4 à 5 millions jusqu’ici évoquée.

Ensuite, les promoteurs devront convaincre l’administration Plante que le projet de développement sera moderne et novateur, qu’il profitera à l’ensemble des Montréalais, tout spécialement ceux établis dans le quartier visé, et qu’il deviendra une vitrine pour la ville.

Tout cela est possible. Mais soyons lucides : pour Stephen Bronfman, la barre est haute, très haute.