Est-ce important d’apprendre le français ? Cela dépend de votre classe sociale.

Les récentes controverses montrent une tendance lourde. Si un néo-Québécois appartient à l’élite économique ou intellectuelle, on l’accommodera en anglais. Mais s’il vient d’un milieu populaire, on sera ferme, très ferme.

Mettez-vous à la place d’un immigrant. Vous choisissez le Québec. À votre arrivée, vous voulez en apprendre la langue commune. Même si vous devez trouver un logement pour votre famille et une école pour vos enfants, même si vous cherchez un emploi, vous faites l’effort de suivre un cours de francisation. Pour cela, vous recevez 200 $ par semaine. À peine plus que l’aide sociale.

Et c’était pire avant que le ministre responsable, Simon Jolin-Barrette, fasse presque doubler le budget. Malgré ses valeureux efforts, la pente reste abrupte.

Car comment l’État récompense-t-il ces gens ? Avec la médiocrité de sa bureaucratie. Comme l’a révélé Le Devoir, des immigrants attendent plusieurs semaines avant de recevoir ce chèque. Parfois jusqu’à trois mois. Certains recourent aux banques alimentaires pour continuer à suivre leur cours. D’autres décrochent, et je les comprends.

N’empêche qu’ils en payeront le prix. Avec la réforme caquiste de la loi 101, à peine six mois après leur arrivée, ils seront obligés de communiquer en français avec l’État. C’est court, très court.

Bien sûr, ils pourront travailler en anglais à Montréal. Mais si c’est un boulot modeste, ils auront de la difficulté à gravir les échelons.

L’échelle est brisée au milieu. Ceux qui commencent en bas, en anglais, risquent d’y rester coincés. En haut, ça avance plus vite…

Michael Rousseau, patron d’Air Canada, en est une preuve stupéfiante. Il a passé 14 années à vivre à Montréal sans parler français. Et sans être embêté, même s’il dirige maintenant une société soumise à la Loi sur les langues officielles.

Cela pourrait se reproduire au CN. Cette société ferroviaire est également domiciliée à Montréal et assujettie à cette loi. Elle s’apprête à changer de patron. Et comme à Air Canada, jusqu’à preuve du contraire, le bilinguisme ne sera pas exigé. On risque d’entendre le même argument : la « compétence » prime, ce qui, dans le cas d’une entreprise cotée en Bourse, se résume de plus en plus à une chose : enrichir les actionnaires. Un fonds d’investissement étranger s’annonce d’ailleurs influent dans le choix.

Les conseils d’administration décident eux-mêmes ce qui est bon pour leur caste. C’est le même raisonnement qui fait exploser le salaire des hauts dirigeants par rapport à celui de leurs employés.

D’un côté, l’immigrant modeste doit payer le prix pour apprendre le français. Il doit s'estimer chanceux d’avoir été accueilli chez nous. De l’autre, l’élite citoyenne du monde impose son unilinguisme avec cette mise en garde : attention, nous pourrions aller voir ailleurs…

Cela vous choque ?

Si votre nom est Ruba Ghazal ou Marwah Rizqy, la réponse est : « Mets-en ! »

Députée solidaire, Mme Ghazal est une réfugiée palestinienne. Elle est arrivée au Québec à 10 ans. Elle parlait seulement arabe. Apprendre le français n’était pas facile. Mais elle a bûché en classe d’accueil et elle a obtenu une maîtrise en environnement, pour ensuite faire une carrière enviable dans le privé avant de se lancer en politique.

Mme Rizqy, députée libérale, est aussi une enfant de la loi 101. Sa mère immigrante était victime de violence conjugale. Elle s’occupait aussi de sa fille aînée atteinte d’une déficience intellectuelle. Mais elle a appris le français. Par devoir. Et aussi parce qu’elle n’avait pas vraiment le choix.

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À quelques pas de la station de métro Mont-Royal, un poème du feu député péquiste Gérald Godin est peint sur une façade.

Sept heures et demie du matin métro de Montréal
c’est plein d’immigrants
ça se lève de bonne heure
ce monde-là
c’est plein d’immigrants
ça se lève de bonne heure
ce monde-là

le vieux cœur de la ville
battrait-il donc encore
grâce à eux 

Godin fut député de Mercier. Quand il lui a succédé, Amir Khadir a cité un autre de ses poèmes.

T’en souviens-tu (Godin) / des pousseurs de moppes / des ramasseurs d’urine / dans les hôpitaux / ceux qui ont deux jobbes / une pour la nuitte / une pour le jour / pour arriver à se bûcher / une paie comme du monde

Le nationalisme québécois n’est pas uniforme. Une frange plus à gauche a toujours sympathisé avec les immigrants. Elle voulait partager leurs combats et les rallier à la cause.

Ces immigrants doivent bûcher aussi pour apprendre notre langue capricieuse. Quand ils regardent ce qui se passe à l’Université McGill, ils ne doivent plus comprendre ce que leur société d’accueil attend d’eux exactement.

Cet automne, la riche université a annoncé la fin de ses cours intensifs de francisation. La décision a été annoncée sans préavis. En anglais seulement. ­­­

Le programme permettait à des immigrants et à des professionnels d’apprendre le français sur le campus. Cela aurait pu servir à des patrons du CN ou d’Air Canada…

La réaction du président du syndicat, Raad Jassim, à Radio-Canada : « Nous sommes au Québec, une province francophone, et notre premier ministre a pour objectif le respect de la culture francophone. […] Je suis en cr****. »

Sur ce campus, d’autres pensent toutefois le contraire. Un professeur de psychologie, Martin Drapeau, a confié à Québecor que la majorité des collègues de son département ne parlaient pas français. Y compris certains qui y travaillent depuis 20 ans. Sa conclusion : « La caissière du Eaton existe encore. »

En fait, cette proverbiale caissière a changé de visage. C’est au sommet de la pyramide qu’elle sévit, avec une nouvelle morale condescendante voulant que l’anglais serait la véritable langue de la diversité. Que le fait de demander d’apprendre le français serait une forme d’intolérance.

Pourtant, un allophone qui arrive au Québec apprendra tôt ou tard une autre langue. Lui demander de choisir le français, c’est l’inviter à s’intégrer à sa société d’accueil.

Mais c’est trop demander, il faut croire, pour ceux qui croient que le français est une langue de seconde classe.