« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille », disait Jacques Chirac.

En effet, les malheurs ont tendance à venir en caisse de 12. L’opposition en a eu un rappel amer dans les derniers jours.

La semaine avait pourtant très mal commencé pour le gouvernement caquiste. Les audiences du Bureau du coroner ainsi que le rapport du Protecteur du citoyen ont jeté une lumière peu flatteuse sur sa gestion de la pandémie. L’ancienne ministre de la Santé Danielle McCann et ses hauts fonctionnaires ont réagi de façon tardive et confuse. Et même quand la menace a enfin été prise au sérieux, les CHSLD sont restés dans leur angle mort.

Facile de juger tout cela dans le rétroviseur, rétorqueront les caquistes. Reste que cela ne justifie pas leurs versions contradictoires au sujet des rapports d’inspection prétendument détruits ou des consignes envoyées aux CISSS et CIUSSS.

Ce gouvernement s’oppose à la tenue d’une commission d’enquête, mais ses raccourcis avec la vérité démontrent ironiquement en quoi cet exercice pourrait être utile.

Bref, tout allait mal cette semaine pour les caquistes… jusqu’à ce que ça recommence à bien aller.

En aussi peu de temps qu’il en faut à François Legault pour se filmer avec des patins et un chandail du CH, le vent a tourné.

La mise à jour économique a apporté de bonnes nouvelles. Le déficit a fondu de moitié, grâce à une croissance économique inespérée et à la hausse des transferts fédéraux – même s’il déconseillait de voter pour les libéraux, M. Legault a aimé leur chèque sans condition pour le programme national de garderies…

Cela permet de dégager une marge de manœuvre.

La question n’est plus : où couper ? C’est maintenant : où dépenser ?

Le ministre des Finances, Eric Girard, a ciblé quelques priorités.

Parmi elles :

  • La « rareté » de la main-d’œuvre (qu’il veut réduire avec des bourses d’études et des primes pour certains métiers où la demande est grande)
  • Les services de garde (bonification du crédit d’impôt pour les parents n’ayant pas accès à une place subventionnée)
  • Le pouvoir d’achat (prestation pour les gens au revenu inférieur à la moyenne pour réduire le choc de l’inflation)

L’opposition crie à l’électoralisme.

En fait, le chèque arrivera en janvier, près d’une année avant le prochain scrutin. Ce n’est pas comme les libéraux fédéraux qui ont envoyé de l’argent aux aînés quelques centièmes de seconde avant de déclencher des élections.

Et même si c’était bien de l’électoralisme, les caquistes s’accommoderont de la critique. Il y a pire que de se faire reprocher de satisfaire les gens.

L’écart entre les philosophies économiques des caquistes, des libéraux et des péquistes est moins grand qu’il ne paraît. Ils répondent plus souvent aux circonstances qu’à un dogme.

En 2014, M. Legault promettait lui aussi de retourner à l’équilibre budgétaire. Philippe Couillard l’a fait à sa place.

Le gouvernement caquiste a hérité de finances publiques saines. Cela lui permet de gouverner confortablement au centre tout en paraissant bien face à ses rivaux.

M. Legault échappe aux compressions douloureuses qui ont rendu les libéraux provinciaux impopulaires. Et quand on le compare aux libéraux fédéraux, le chef caquiste paraît responsable. Contrairement à Ottawa, Québec a une cible de retour au déficit zéro et de réduction de la dette, et il avance dans la bonne direction.

Le déficit devrait être éliminé en 2027-2028. Et si on ne cotisait pas au Fonds des générations pour financer le remboursement de la dette, le budget serait équilibré dans deux ans.

Certes, tout n’est pas rose. La croissance des dépenses sera alors de 3,5 %. C’est moins que la hausse des coûts du système en santé. Plus le temps passe, moins il restera d’argent pour les autres ministères.

Malgré tout, il est exagéré de mettre en garde maintenant contre l’austérité, comme le fait Québec solidaire.

Cela se comprend, toutefois : l’opposition veut se distinguer de la CAQ et les options sont limitées.

Elle peut bien sûr critiquer la gestion de la CAQ pour réduire la pénurie de main-d’œuvre, améliorer l’accès aux soins de santé et augmenter la réussite scolaire. Quoique, à en juger par les sondages, les électeurs ne croient pas qu’ils feraient mieux.

Les libéraux cherchent un clivage plus idéologique. Ils essaient de se redéfinir en parti plus progressiste et écologiste. Cela se comprend – les caquistes sont loin d’être vert foncé. Mais ce faisant, les troupes de Dominique Anglade se rapprochent, un tout petit peu, de Québec solidaire. Leurs vieux militants pourraient ne pas s’y reconnaître.

Chez les solidaires, c’est le contraire. Ils entament un léger recentrage qui risque de déplaire à leur base.

Les caquistes regardent ce spectacle en s’étalant de tout leur long au centre, popcorn à la main.

Cela explique au moins en partie l’attention accordée aux dossiers identitaires. Là-dessus, le clivage est évident.

Mais là encore, rien pour déplaire aux caquistes. La laïcité et la langue ne divisent pas beaucoup leur électorat. Tandis que les libéraux et les solidaires font le grand écart pour rallier des sympathisants qui ne s’entendent pas toujours.

Au congrès libéral cette fin de semaine, les tensions s’annoncent vives entre les multiculturalistes et les nationalistes modérés.

Quant au Parti québécois, il reproche à M. Legault d’incarner un nationalisme de façade. Mais il n’a pas réussi à faire l’indépendance et il est difficile d’imaginer comment il arracherait plus de pouvoirs à Ottawa. Ne lui reste que la langue. Même si la CAQ refuse d’appliquer la loi 101 aux cégeps, elle en fait juste assez pour consolider ses appuis.

Voilà un aperçu des nuages qui virevoltent au-dessus de la tête des libéraux, des péquistes et des solidaires. Ils ne laissent pas filtrer beaucoup de lumière.