S’il faut dire merci, en cette Thanksgiving américaine, c’est merci pour la série documentaire The Beatles : Get Back qui se déploie, ce week-end, sur la plateforme Disney+. Durant huit heures, le cinquième Beatle, c’est nous. On est assis avec eux et on assiste à la création des albums Let it Be et Abbey Road, en plus d’assister au concert sur le toit. Quel inespéré privilège.

Nous sommes en janvier 1969, quelques mois avant la fin de leur incroyable aventure. En moins de 10 ans, ces quatre gars dans le vent ont changé la face de la musique. La face A comme la face B. Avec autant de succès que d’expérimentations. De Love Me Do à Helter Skelter en passant par Yesterday et Tomorrow Never Knows, ils n’ont cessé d’explorer à la vitesse grand V. D’aller partout dans leurs cerveaux. Et, fait rare dans l’histoire de la célébrité, le public, plutôt que d’être réfractaire aux multiples transformations de ses idoles, les suivait dans chacune d’elles. Si bien que leur œuvre est un organisme vivant à part entière. Qui vit encore. Après eux. Cinquante ans après eux. Cinq cents ans après eux. Cinq mille ans après eux.

En janvier 1969, les quatre Beatles pourraient être quatre grosses têtes enflées. Gonflées par la gloire, l’argent, le sexe, la drogue et le rock’n’roll. Comme tellement de légendes du showbiz. Mais ils sont tout sauf ça. Ce sont quatre gars qui font de la musique ensemble. L’esprit frais, le cœur ouvert, l’ego juste assez gros pour être bon pour eux, et juste assez petit pour être bon pour les autres.

Pendant huit heures, on ne les voit pas parcourir le monde, recevoir les honneurs, vivre à 100 miles à l’heure, être des big stars gâtées. On les voit travailler. Tout simplement travailler. Composer, répéter, jeter, recommencer, composer, répéter, jeter, recommencer, composer, répéter, répéter, répéter…

Ce documentaire est une ode au travail d’équipe. Que vous soyez un band rock, un bureau de fonctionnaires, une équipe de hockey peewee, un cabinet de comptables, un Conseil des ministres, un OBNL, un staff de restaurant, un corps de ballet, une cellule révolutionnaire, un club de pétanque, un syndicat ou le Conseil du patronat, il vous faut regarder Get Back. Ça sera plus enrichissant que toutes les conférences de motivateur et que toutes les retraites de consolidation d’équipe.

Voir les Beatles travailler, c’est voir un groupe fonctionner. Parfois rondement, parfois carré. Parfois, pas du tout. Un groupe ne peut pas toujours être en harmonie. Même qu’il ne peut être en harmonie que s’il a su gérer ses conflits. Pour bien sonner, il faut s’accorder. Pour s’accorder, ça prend un désaccord. Du désaccord vient la justesse.

Un groupe ne doit pas être constitué de gens semblables. Un groupe doit être constitué de gens différents. Chacun ajoutant sa différence à celle des autres. Chacun rendant l’autre plus grand, plus différent.

Tout le génie du plus grand groupe de l’Histoire réside dans la complémentarité de ses membres. John la tête forte, le provocateur. Paul le surdoué, le concepteur. George le spirituel, le chercheur. Et Ringo le roc, le rassembleur.

Ce n’était pas des rôles, c’était leur nature. On remplit un rôle. Une nature nous remplit. Qui était le boss ? Sûrement John, le fondateur. Le plus rock’n roll des quatre. Mais les Beatles, ce n’était pas le groupe de John. C’était le groupe des quatre. C’est la règle de toute association. Si votre but, c’est de devenir un boss, entourez-vous de suiveux. Si votre but, c’est d’aller loin, entourez-vous de gens qui vont loin. Qui vous suivront parfois et qui vous ouvriront le chemin, souvent.

Si l’œuvre des Beatles est toujours inégalée, c’est avant tout parce qu’elle est l’œuvre de quatre êtres humains. Un groupe stimulé, c’est jouer avec l’avantage numérique, tout le temps. Rien n’est plus fort qu’un ensemble permettant l’éclosion de tous ses talents.

Un groupe, ça peut aussi être tout le contraire. Ça peut étouffer. Ça peut limiter. C’est comme tout. C’est comme le soleil. On n’existerait pas sans lui. On n’existera plus, si on ne sait pas comment être avec lui.

John, Paul, George et Ringo ont su se servir du groupe pour devenir meilleurs. En solo, ils auraient tous réussi. Ensemble, ils ont réussi quelque chose de plus merveilleux qu’eux. C’est la raison d’être d’un groupe. Je sais, ils se sont séparés. Mais en ayant toujours les autres en eux. On ne se sépare pas du passé.

Le réalisateur du documentaire, Peter Jackson, a eu l’intelligence de laisser vivre les Beatles à l’écran. Ce n’est pas un montage TikTok. Pour saisir un processus créatif, pour apprivoiser les différentes personnalités, pour avoir l’impression d’y être, il fallait du temps. On l’a. Le temps est le complice de tout, ici-bas.

Vous avez huit belles heures devant vous.

Je vous avertis, après avoir vu Get Back, vous aurez envie de faire partie d’un groupe. Ou envie d’en donner encore plus au groupe dont vous faites déjà partie.

Let it be
Let it be
Let it Beatles.