On l’avait rebaptisée la « Forêt des mal-aimés ».

En marge de la COP16 à Cancún en 2010, Jean Charest avait reçu un prix pour son action environnementale, notamment dans la Bourse du carbone. Une portion d’une forêt de l’Australie-Méridionale a été nommée en son honneur.

Quelques mois plus tard, M. Charest soulevait la colère à cause du gaz de schiste.

Applaudi à l’étranger, hué chez lui.

Cela fait penser à François Legault.

Bien qu’il encaisse les attaques des écologistes depuis le début de son mandat, le premier ministre a été assez bien accueilli à la COP26 à Glasgow. Le Québec a reçu un prix « Leadership » de la Coalition Under2 pour son rôle dans la tarification du carbone en Amérique. Et il a été félicité pour son chèque de 10 millions versé au Fonds pour l’adaptation aux changements climatiques, destiné aux pays défavorisés.

Un premier sommet climatique international est impressionnant pour un élu. À Paris, Philippe Couillard avait eu une brève révélation. M. Legault l’avait ironiquement qualifié de « géant vert ». Aux yeux du chef caquiste, quand M. Couillard faisait un petit pas pour la planète, il allait trop loin…

M. Legault vient à son tour de vivre sa première COP. Dans son entourage, on raconte qu’il en revient à la fois sensibilisé et convaincu de subir des critiques injustes.

Est-il un modèle ou un cancre ? La vérité se situe quelque part entre les deux.

Le Québec est l’État qui pollue le moins en Amérique du Nord (en excluant le Mexique), se vante-t-il. C’est vrai, mais il choisit son point de comparaison…

Le Québec émet un petit peu plus de gaz à effet de serre (GES) par habitant que la moyenne européenne. Et davantage que des États nordiques comme la Suède, la Finlande et même la Norvège, pourtant productrice de pétrole.

Ces comparaisons ont leurs limites – les États dépendent d’abord de leur géographie et de leur structure industrielle.

Il est plus pertinent de comparer les efforts accomplis.

Depuis 1990, le Québec a réduit ses GES autant que l’Ontario (- 9 %), mais nettement moins que l’Union européenne (- 23 %).

Bien sûr, tout cela, c’était avant l’accession au pouvoir de M. Legault.

La cible pour 2030 n’est toutefois pas très ambitieuse : une baisse de 37,5 %. Pour l’UE, c’est 55 %.

Le Québec se situe donc en milieu de peloton.

M. Legault devrait-il en faire plus ?

Oui s’il veut respecter l’accord de Paris. L’entente exigeait que les signataires haussent leurs cibles tous les cinq ans. Or, le gouvernement caquiste a repris la cible des libéraux.

Son plan est toutefois meilleur. Il a le mérite de chiffrer les réductions de GES pour chaque mesure. Mais pour l’instant, cela ne suffit pas. La majorité (52 %) des réductions restent à trouver.

Nous sommes encore loin de 2030 et d’autres décisions à venir du fédéral, des municipalités ou des entreprises pourraient aussi aider. Sans oublier les innovations technologiques comme l’aluminium vert. Malgré ces nuances, la conclusion demeure la même : le Québec n’est pas en voie d’atteindre sa cible, qui est pourtant insuffisante.

Le bilan caquiste est…

Avant de choisir un adjectif, je résume les faits.

Le Québec s’est joint à la coalition Beyond Oil and Gas en s’engageant à ne jamais exploiter ses énergies fossiles. La décision n’était pas déchirante – aucun projet ne paraissait rentable. N’empêche qu’il n’y a pas si longtemps, M. Legault était prêt à risquer des fonds publics dans cette aventure. Il a également bloqué le projet gazier de GNL Québec à Saguenay, auquel il était favorable en début de mandat.

Les caquistes ont aussi modernisé la collecte sélective, élargi la consigne, adopté le règlement sur la traçabilité des sols contaminés, restreint l’usage des pesticides et annoncé l’interdiction du remplacement du chauffage au mazout à partir de 2024. Ces bons coups ont été peu soulignés.

Avec la Colombie-Britannique, le Québec est la seule province qui a respecté son engagement de protéger 17 % de son territoire en 2020. Mais il en a violé l’esprit en concentrant les aires protégées dans le Nord, notamment à cause des pressions du ministère de « l’Abattage des forêts », ce porte-parole de l’industrie.

M. Legault veut que le Québec exporte son hydroélectricité en Nouvelle-Angleterre. Ce projet est emballant, mais il a été lancé par ses prédécesseurs et il ne change pas notre bilan. Ces réductions ne devraient pas non plus être attribuées au Québec. Sinon, en suivant la même logique, il faudrait ajouter aux GES du Québec ceux émis en Alberta pour extraire le pétrole qui alimente nos voitures.

Les émissions en transport augmentent encore. C’est là qu’il faut agir. M. Legault veut le faire avec des achats massifs d’autobus électriques et ses 55 milliards dans des projets de transport collectif. Parallèlement, les caquistes veulent toutefois créer plus de routes, notamment avec le tunnel reliant Québec et Lévis.

Leur défense : les véhicules seront bientôt tous électriques. En effet, la vente de nouveaux modèles à essence sera interdite à partir de 2035. Mais le modèle reste celui du siècle dernier : prolonger les routes, gonfler les dépenses en infrastructures et empiéter sur les milieux naturels. Cela se fait d’ailleurs parfois contre l’avis des fonctionnaires, comme avec le dézonage de 17 millions de pieds carrés de terres agricoles près de Mascouche.

Espérons que cela changera avec la Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires, qui sera présentée dans les prochains mois.

D’ici là, que penser de l’œuvre d’ensemble ?

Je dirais platement : mitigée…

La transition énergétique avance lentement, dans le confort.

M. Legault a eu un déclic en début de mandat. Avec l’électrification des transports, il veut allier l’environnement à sa passion, le développement économique.

Il en fait une source de « fierté », son slogan nationaliste. Mais cela rend le premier ministre susceptible.

Il accuse les écologistes d’être anxieux ou alarmistes. Pourtant, ils ne font que citer les rapports des climatologues. Juste avant la COP26, la délégation du Québec a reçu un breffage du consortium Ouranos sur les conséquences chez nous du dérèglement climatique. M. Legault n’a pas dû en sortir enthousiaste.

Le premier ministre répète que les libéraux ne faisaient pas mieux, mais cela ne change rien à l’érosion des berges ou aux autres impacts déjà observables de la crise. Plus le temps passe, plus l’urgence augmente et plus les gens seront exigeants.

Pour l’instant, le Québec ne contribue pas suffisamment à limiter le réchauffement. En bon « gars de résultats », M. Legault devrait déposer chaque année un bilan détaillé sur l’atteinte des cibles.

Et il pourrait enrichir son discours sur la fierté : sans son territoire, le Québec n’est rien. Ce territoire est vaste, mais fragile. Lui aussi mérite qu’on en prenne soin.