L’industrie pétrolière et gazière joue l’horloge. Pendant que les climatologues crient à l’urgence, elle essaie de gagner du temps.

En principe, elle dit viser la carboneutralité pour 2050. Mais en pratique, elle avance dans le sens contraire. Elle continue de hausser sa production et ses émissions de gaz à effet de serre (GES).

Son slogan est vert, mais son plan est fumeux.

Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, pourrait exposer ce bluff. Il promet de plafonner puis de réduire les émissions du secteur. L’opposition de l’Ouest sera vive. Mais s’il réussit, l’industrie fossile pourra difficilement qualifier de radicale une mesure cohérente avec ses propres objectifs.

En s’y opposant, elle prouverait qu’elle ne prévoyait finalement pas faire grand-chose…

Le véritable plan de l’industrie se décline en trois étapes : exploiter au maximum le pétrole et le gaz, prier pour qu’une improbable technologie réduise de façon draconienne ses émissions, puis refiler cette facture aux contribuables.

Des groupes environnementaux ont fouillé les livres des grandes sociétés pétrolières et gazières du Canada. Comment veulent-elles changer ? Le moins possible, comme le montre un rapport dévoilé au début de la COP26. Ces sociétés se dirigent vers une hausse de 30 % de leur production et de 25 % de leurs émissions d’ici 2030. Soit exactement le contraire de ce qu’il faut faire.

Lisez le rapport des groupes écologistes (en anglais)

Les avertissements sont pourtant clairs.

À l’échelle de la planète, cette production doit baisser de 3 à 4 % par année, chaque année. Dès maintenant.

Lisez le Production Gap Report 2020 (en anglais)

Et au Canada, les efforts à faire sont encore plus grands, à cause de l’intensité des émissions par baril.

Selon une étude parue dans Nature, le Canada devra laisser dans le sol la vaste majorité de ses ressources – 83 % de son pétrole et 81 % de son gaz.

Lisez l’étude de Nature (en anglais)

Cela signifie que les nouveaux projets doivent être abandonnés. Au Canada et ailleurs. C’est ce qu’a recommandé en mai l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pourtant réputée pour son conservatisme.

Dans les dernières années, le lobby pétrolier et gazier se réfugiait derrière les projections de cet organisme, qui prévoyait une hausse de la demande. Mais même l’AIE a cessé de prendre la demande comme point de départ. Son raisonnement a été inversé. Elle utilise désormais ce qu’on pourrait appeler, de façon pragmatique, la « réalité ». Soit l’effet des perturbations climatiques sur le monde physique. Elle calcule les émissions totales que peut se permettre l’humanité afin d’éviter le pire, et elle les alloue pour chaque pays.

Cela donne un budget carbone. La trajectoire proposée par l’industrie nous mènerait dans le rouge. D’ici 2050, les émissions des nouvelles exploitations projetées seraient même supérieures à celles des projets actuels.

Lisez le rapport de l’AIE (en anglais)

Comment concilier cela avec la carboneutralité promise ?

L’industrie espère que les technologies de capture et de stockage du carbone lui permettront d’annuler ses émissions. Elle pourrait aussi miser sur les réacteurs nucléaires de petite taille et l’achat de crédits carbone pour compenser ses émissions.

Cela équivaut à croiser les doigts en avançant les yeux fermés vers la tempête…

Ces technologies ne sont pas encore au point. Et même si elles l’étaient, le coût serait monumental. Qui paiera la majorité de la facture ? Vous, demande l’industrie.

Ce n’est pas très équitable. Ni judicieux sur le plan économique. Cette petite fortune serait mieux investie dans les énergies vertes de l’avenir.

Et surtout, surtout, ce « plan » contient un angle mort. En fait, un éléphant dans son pare-brise : l’essentiel des émissions du pétrole et du gaz vient après leur production, quand ils sont consommés. Et la capture du carbone n’y changera rien…

Cela pourrait donner des arguments à M. Guilbeault. Mais ce dont il aura surtout besoin, c’est d’habileté et de courage.

En fonction depuis quelques jours à peine, le nouveau ministre s’est présenté à la COP26 avec des promesses électorales.

Comment plafonnera-t-il les émissions du secteur des énergies fossiles ? Et comment mettra-t-il fin aux subventions ? Lui-même l’ignore.

Sa simple nomination a été reçue comme une bonne nouvelle, mais la pression est énorme et la patience sera limitée. Le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir réduit ses émissions depuis 2015, il ne réussit pas encore à atteindre sa nouvelle cible pour 2030 et, comme le prévoit l’entente de Glasgow, cet objectif devra être révisé à la hausse d’ici un an.

Comme l’industrie fossile, le ministre se bat contre le temps, mais en avançant dans la direction inverse. Leurs chemins finiront par se croiser. Dans une collision frontale.