Pas toujours facile de suivre l’approche du gouvernement caquiste avec les omnipraticiens.

Un jour, c’est la main tendue. Le lendemain, c’est le bâton. Ça dépend de la journée et de la personne qui parle.

Et jeudi, une nouvelle surprise attendait les médecins.

Ils négocient avec Québec depuis juillet. Leur dernière offre a été présentée à la mi-octobre. Au lieu d’y répondre, le ministre de la Santé, Christian Dubé, vient de déposer un projet de loi.

Il permettrait de partager avec les gestionnaires du réseau les données sur la pratique des médecins. Et il créerait une plateforme centrale de rendez-vous, en unifiant les systèmes déjà existants.

Tant mieux si cela donne une meilleure vue d’ensemble de l’offre et de la demande, pour répondre aux besoins des patients dans chaque région.

Bien sûr, ces données devront être interprétées prudemment. Par exemple, un médecin qui enseigne, qui intervient auprès des toxicomanes ou qui travaille souvent aux urgences ne pourra pas prendre en charge autant de patients que ses collègues expérimentés qui ont atteint l’âge où ils peuvent pratiquer exclusivement en clinique.

Et il faudra aussi s’assurer que le système informatique fonctionne. Pour la vaccination, ce fut dans l’ensemble un succès. Mais un médecin me raconte que la plateforme Rendez-vous santé Québec est peu conviviale – il n’est pas rare de devoir la redémarrer ou de voir une fenêtre d’erreur s’ouvrir sans raison.

Bref, le projet de loi n’est pas inintéressant. Certains le jugeront même accommodant. Il n’impose pas de cibles chiffrées et les pénalités restent théoriques – elles pourraient ne jamais être appliquées. D’autres craignent la microgestion des horaires.

Difficile d’en prévoir l’effet. Mais peu importe, une question demeure : pourquoi le déposer maintenant ? Pourquoi court-circuiter la négociation ?

M. Dubé avait un ton apaisant et constructif, jeudi. Il soutient que le partage de ces données permettra de mieux comprendre les besoins, et ainsi de trouver les bonnes solutions.

Même si cela aidera, l’essentiel est ailleurs.

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Le ministre a raison d’être impatient. Près de 880 000 Québécois sont inscrits au Guichet d’accès à un médecin de famille. Et comme il le rappelle, c’est sans doute pire en réalité. Des gens ne se donnent peut-être plus la peine de s’y inscrire. Ils n’y croient pas.

D’où vient alors le problème d’accès ?

Ce gazouillis exaspéré du DVincent Demers vaut plusieurs analyses. Un patient lui a été adressé pour… se faire nettoyer les oreilles.

Cela s’explique de plusieurs façons.

Il manque de personnel dans le réseau – plus de 400 postes d’omnipraticien sont demeurés vacants depuis 2013, et la pénurie en soins infirmiers a été aggravée par la pandémie.

De plus, le personnel est mal utilisé. Les médecins font, souvent malgré eux, des actes qui pourraient être délégués à des infirmières, des pharmaciennes ou des psychologues.

Pour y remédier, il faut embaucher et changer l’organisation du travail. Et modifier certains effets pervers, comme la trop grande part de la rémunération à l’acte.

Ce diagnostic, il est consensuel. Tous les partis à l’Assemblée nationale le partagent. Les caquistes y croient tellement qu’ils brandissaient en début de mandat la menace d’une loi spéciale pour changer le mode de rémunération.

Et les médecins ? Eux aussi y sont favorables. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec travaillait sur un scénario pour que le chèque de ses membres dépende davantage du nombre de patients pris en charge. Le ministre le sait.

Pourtant, en conférence de presse, il n’a pas voulu s’engager à réformer ce mode de rémunération d’ici la fin de son mandat.

Sans être une solution miracle, cela aiderait.

Mais M. Dubé semble à la recherche de gains immédiats.

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Le gouvernement Legault est obsédé par la réalisation de ses promesses électorales. Même s’il fait beaucoup mieux que ses prédécesseurs, il y a une ombre au tableau : la santé.

En 2018, les caquistes s’engageaient à ce que tous les Québécois aient un médecin de famille et puissent le consulter dans un délai de 36 heures. Or, la situation a empiré. Et c’est la critique la plus souvent entendue par les députés quand ils jasent avec leurs électeurs.

La pandémie a nui, mais elle n’explique pas tout. À la veille de la prochaine campagne, M. Dubé veut montrer qu’il fait tout en son pouvoir. Court-circuiter les négociations l’aide à paraître résolu.

Bien des lecteurs partageront l’impatience de Québec. Ils déploreront que dans la dernière décennie, les omnipraticiens aient haussé leur rémunération tout en réduisant leurs journées travaillées.

Mais chercher les coupables ne nous avancera pas. Il faut des solutions, et mettre en oeuvre les plus importantes prendra du temps. Trop pour que les caquistes puissent s’en vanter durant la prochaine campagne électorale.

Cela explique l’empressement à déposer un projet de loi et le ton employé avec les médecins depuis quelques semaines. Mais avec la pandémie qui s’étire encore, il serait préférable de ne pas trop jouer avec les nerfs de tout le monde.