La fusion des partis Ralliement pour Montréal et Mouvement Montréal a été l’un des faits saillants de la dernière campagne municipale. Mais sitôt consommé, le 12 octobre, ce mariage improvisé a connu un spectaculaire divorce.

Maintenant que les élections sont chose du passé, les deux protagonistes ont accepté de me raconter cet épisode aussi douloureux que rocambolesque.

C’est le mardi 28 septembre que l’idée d’une alliance entre ces deux partis est née. Et cette initiative est venue de Ralliement pour Montréal.

« Lors d’une réunion avec les membres de mon C.A., on a suggéré de créer une fusion avec un autre parti, raconte Marc-Antoine Desjardins, chef de ce parti. On était conscients qu’avec 5 points dans les sondages, on n’était pas la troisième option. Quelqu’un a parlé de Mouvement Montréal. Je voyais bien que Balarama Holness représentait l’antithèse de ce que nous étions. Mais des fois, il faut avoir un rêve romantique. »

Résultat : les deux chefs ont pris le petit-déjeuner ensemble le lendemain. « J’ai d’abord dit à Balarama que j’avais été approché par Denis Coderre », dit Marc-Antoine Desjardins. Des sources dans l’entourage du candidat déchu m’ont en effet confirmé cette information.

C’était clair que si je lui disais non, il s’en allait avec Denis Coderre et que ça mettait mes chances à zéro.

Balarama Holness, à propos de Marc-Antoine Desjardins

Puis, en soirée, un souper est organisé avec des leaders des deux partis. On s’entend pour annoncer une alliance dès le lendemain matin, le 30 septembre. « Je lui ai dit de recentrer ses idées sur la langue et le définancement du SPVM, dit Marc-Antoine Desjardins. Il m’a dit qu’il n’allait pas toucher à la Charte de Montréal. »

Le matin de l’annonce, Marc-Antoine Desjardins demande à ce que le communiqué de presse soit envoyé aux membres de son équipe avant l’évènement. Un cafouillage fait en sorte que des candidats de Ralliement pour Montréal apprennent la chose lors du point de presse. C’est le cas de Jean-François Cloutier qui, présent sur place, est « en état de choc ». Ce dernier, de même que Brigitte Lamoureux, sera parmi les premiers à quitter le navire.

Tout de suite après cette annonce, les deux partis fusionnés ne disposent que de quelques heures pour confirmer l’ensemble de leurs candidatures. Ralliement pour Montréal en a 17 et Mouvement Montréal, 43. D’autres sont ajoutées à toute vitesse.

« C’était un front, son affaire, dit Marc-Antoine Desjardins en parlant de Balarama Holness. Tous les autres candidats qui sont venus par la suite étaient des poteaux. »

À partir de là, il y a eu du sable dans l’engrenage. Marc-Antoine Desjardins a du mal à obtenir de l’information, à comprendre les intentions de son collègue. Il en fait part à l’entourage de Balarama Holness.

On s’est fait menotter et il était trop tard. Le transfert des candidats était fait. On était fourrés. Il pouvait faire ce qu’il voulait. Au fond, il n’avait aucunement l’intention de marcher avec nous.

Marc-Antoine Desjardins, à propos de Balarama Holness

« Le problème, c’est qu’il se voyait encore comme chef ou cochef, rétorque Balarama Holness, alors qu’il n’était qu’un simple candidat qui avait peu d’affinités avec la ligne du parti. La tank de gaz de son parti était vide quand il est venu me voir. C’est ça, l’histoire. »

Une rencontre de deux heures est organisée avant la fameuse conférence de presse qui a eu lieu le 12 octobre. « Je voulais m’assurer qu’il n’allait pas parler de définancement de la police et d’un référendum sur la langue, mais plutôt d’un droit d’initiative populaire comme il l’avait fait avec le racisme systémique », explique Marc-Antoine Desjardins.

Mais le lendemain, devant les journalistes, Balarama Holness déclare qu’il souhaite tenir un référendum sur le statut linguistique de la métropole et aborde la question du financement du Service de police de la Ville de Montréal, qu’il souhaite réduire.

Marc-Antoine Desjardins se tient à ses côtés. Il est pétrifié. « Je l’écoutais et je me disais : “What the f…, où est-ce qu’il s’en va avec ça ?” Je n’en revenais pas. J’étais comme dans une cinquième dimension. J’étais tellement en tabarnak. »

Balarama Holness ne comprend pas la réaction de Desjardins. « Est-ce qu’il vous a dit que c’est lui qui a proposé de tenir un référendum sur la langue et qu’il a changé d’idée 24 heures avant la conférence de presse ? Demandez-lui et on va voir s’il est honnête. »

« Il joue une fois de plus avec les mots, réplique Marc-Antoine Desjardins. Il connaît très bien la différence entre un référendum et un droit d’initiative. »

Marc-Antoine Desjardins quitte la conférence en furie. En soirée, les deux hommes ont une discussion musclée. « J’ai compris qu’il ne voulait pas déplaire à un noyau de son équipe. Le recentrage que je souhaitais faire créait un brassage dans son parti. »

Les discussions entre ceux qui souhaitaient mettre les chicanes de côté lors de leur fusion tournent parfois au vinaigre. « Lors d’un de nos échanges, il m’a dit qu’il se foutait de l’Office de la langue française et de la Charte de la langue française, dit Marc-Antoine Desjardins. C’est là que je me suis dit que c’était assez pour moi. »

Balarama Holness nie avoir dit de telles choses.

Le lendemain de ce point de presse, les candidats Jean-Philippe Martin et Sylvain Medzalabenleth abandonnent le parti. Cela survient après les départs de Marc-André Bahl, Katchik Ebruchumian et Jean-Pierre Boivin, candidat dans Verdun, qui a préféré poursuivre comme indépendant.

Finalement, après six jours de réflexion, Marc-Antoine Desjardins annonce qu’il se retire du parti. « J’ai fait preuve de naïveté, dit-il. Je m’en veux beaucoup d’avoir marché dans ce chemin-là. Je n’ai pas écouté mon cœur ou mon instinct politique. Mea culpa ! J’assume entièrement cette erreur. »

Le seul aspect positif de cette campagne, c’est qu’on a vu qui était réellement ce gars. J’ai mis en lumière le fait qu’il n’a pas de parole.

Marc-Antoine Desjardins, à propos de Balarama Holness

Quelques minutes après l’annonce du départ de Marc-Antoine Desjardins, Balarama Holness déclare qu’il n’est pas surpris de cette décision et ajoute que, de toute façon, son collègue « avait très peu de chances de l’emporter à la mairie d’Outremont ».

« Ce que Marc-Antoine Desjardins tente de faire en ce moment, c’est de retrouver une dignité personnelle, ajoute Balarama Holness en entrevue. Le gars a quand même abandonné la course dix jours avant la fin. »

Cette histoire est celle d’une fusion créée dans l’urgence et l’improvisation, deux choses avec lesquelles la politique doit constamment composer, mais qui peuvent être un poison fatal. Nous en avons la preuve.

Elle nous dit aussi qu’une troisième voix valable a terriblement manqué à cette élection.

Et que la création d’un parti politique, même sur la scène municipale, est une opération de haute voltige.