Faut avouer que l’image frappe : d’après Christian Dubé, si la question des primes aux infirmières ne débloque pas, c’est parce que les délégués syndicaux veulent eux aussi toucher les 15 000 $.

Les délégués ont un poste dans le réseau de la santé, mais sont « libérés » pour faire du syndicalisme. On en compte 300. S’ils veulent toucher la prime, ils peuvent retourner sur le plancher, non ? La prime est pour attirer et retenir des infirmières, pas pour récompenser les membres du syndicat.

Le ministre de la Santé, homme patient s’il en fut jamais, va un peu vite en affaires en affirmant que l’avidité des délégués syndicaux explique le problème de recrutement des nouvelles infirmières.

Pensez-vous vraiment que tout bloque parce que quelques délégués veulent empocher une prime qu’ils ne méritent pas ?

Ces primes n’ont pas été négociées, elles ont été décrétées par le gouvernement et dessinées par les fonctionnaires. On est tous d’accord : il n’y a pas de temps à perdre, c’est une urgence nationale.

Mais on ne devrait pas s’étonner de voir les syndicats mal réagir si on ne les implique pas dans le plan d’application, qui comporte toutes sortes de conditions – ce qui est normal – qui n’ont pas été négociées, clarifiées et justifiées – ce qui ne l’est pas.

Oui, il faut « changer la culture » dans le monde de la santé, on n’a pas besoin d’une commission d’enquête pour le savoir. Vrai aussi, le moindre battement d’aile d’un papillon réglementaire à Québec peut créer un ouragan dans un hôpital de l’Outaouais.

Mais ça ne vous tentait pas de jaser avec les syndicats d’infirmières et autres avant d’écrire l’arrêté ministériel, pour qu’ils « collaborent » ? Une culture, ça se change à deux, et je ne suis pas bien sûr que tout le blâme soit du côté syndical, et pas du tout du côté bureaucratique…

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Ce n’est pas la première fois que le gouvernement Legault envoie ses messages par-dessus la tête des dirigeants syndicaux. Au plus corsé des négociations avec les éducatrices des CPE, il a décrété des augmentations salariales immédiates.

N’est-ce pas une preuve de bonne foi évidente, une sorte de cadeau ?

C’est surtout une manœuvre pour déstabiliser les négociateurs syndicaux et faire mettre de la pression par les membres et l’opinion publique.

En principe, les lois du travail interdisent ce genre de manœuvres, et ces « messages » aux membres et au public envoyés subtilement par l’employeur sont à tout le moins en zone grise.

Ça peut sembler habile politiquement, vu que les syndicats n’ont pas bonne presse et que casser un peu de sucre de temps en temps sur leur dos est payant.

Il y a tout de même plus qu’un responsable à l’état de fragilité critique de notre système de santé. Il y a tout de même des gouvernements successifs qui ont négocié et imposé des conditions et des manières de faire qu’aujourd’hui on trouve absurdes.

Je sais qu’on est en année électorale et qu’identifier les empêcheurs de « faire avancer le Québec » est irrésistible. Mais le « public » sait aussi ce qu’il en a coûté, ce qu’il en coûte encore aux femmes et aux hommes qui étaient en première ligne dans un système en pénurie. On ne pourra pas tout décréter impunément contre leurs syndicats, sous prétexte qu’il y a des résistances et des rigidités.

Pas loin derrière ces syndicats, il y a ces travailleurs, et beaucoup de solidarité les accompagne.

On ne changera pas de « culture », aussi exaspérante soit-elle, avec des arrêtés ministériels, sans mettre tout le monde dans le coup. Si cette « nouvelle culture » sans « confrontation » est vraiment l’objectif, pas sûr que ce soit bien barré…