Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Avant 2018, seules 33 % des décisions de la Commission municipale du Québec (CMQ) concluaient à un manquement de la part d’un élu. Ce chiffre a prodigieusement grimpé à 80 %.

Que s’est-il passé au cours des trois dernières années ?

On doit cette révolution aux outils qui permettent aux citoyens de divulguer en toute confidentialité des renseignements concernant un manquement du Code d’éthique et de déontologie d’une municipalité commis par un élu.

Mais on doit également ce changement aux pouvoirs accrus de la CMQ, qui dispose de moyens plus musclés pour identifier et punir les élus fautifs.

« On arrive à ce résultat, car les dossiers d’enquête sont mieux montés, m’a expliqué Jean-Philippe Marois, président de la CMQ. Nous disposons d’enquêteurs qui ont de véritables pouvoirs d’enquête. »

Des dossiers d’enquête plus étoffés combinés au travail des procureurs et des sept juges administratifs de la CMQ permettent d’atteindre ces résultats qui, visiblement, rendent son président plutôt fier.

Entre 2018 et 2020, le nombre de décisions est passé de 20 à 31. Quant au nombre de dossiers qui ont mené à des sanctions, il a fait un bond spectaculaire de 2 à 20.

On remarque également que les sanctions sont plus sévères. On a vu ces derniers mois des cas de suspensions de 120 jours (Sue Montgomery, mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, à qui on reprochait 11 manquements) ou même 180 jours (Louisette Langlois, mairesse de Chandler, pour 20 manquements).

« Il faut dire que ces sanctions sont administrées 10 ans après l’entrée en vigueur de la Loi sur la déontologie et l’éthique en matière municipale et cinq ans après la commission Charbonneau, dit Jean-Philippe Marois. Les juges de la CMQ ont en effet tendance à augmenter la sévérité des sanctions pour aller chercher un effet dissuasif, car ils constatent qu’encore aujourd’hui, il y a des situations de conflits d’intérêts non gérées. »

Cet effet dissuasif apparaît d’ailleurs noir sur blanc dans certaines décisions rendues récemment.

Depuis 2018, la CMQ a reçu 1926 dénonciations. D’où viennent ces signalements ? De citoyens ? De fonctionnaires ? D’élus ? La CMQ n’a pu répondre à mes questions là-dessus, car l’anonymat de ces plaintes est entièrement protégé. Voilà qui devrait rassurer ceux qui seraient tentés de dénoncer un élu.

Les décisions de la CMQ sont de plus en plus médiatisées. Les citoyens ont de plus en plus l’impression qu’il existe un chien de garde qui scrute la déontologie des élus municipaux. Au départ, quand la CMQ s’est dotée de nouveaux pouvoirs, on ne semblait pas prendre ce « tribunal » très au sérieux. Trois ans plus tard, j’ai l’impression que les choses ont changé.

« Les élus sentent bien que nous n’avons jamais été aussi présents que depuis 2018, poursuit Jean-Philippe Marois. Ils savent que nos enquêteurs sont partout sur le terrain. Ils sont conscients que notre impact est plus grand. Cela dit, la grande majorité des élus municipaux connaissent le Code d’éthique et de déontologie et les attentes du public. C’est un petit nombre qui ne comprend pas ça et c’est avec ce petit nombre que nous travaillons. »

Le hic, c’est que très souvent les décisions de la CMQ sont contestées (aux frais des citoyens) par les élus qui font l’objet d’une sanction. Ç’a été le cas avec le maire de Saint-Jean-sur-Richelieu, Alain Laplante, suspendu pendant 95 jours en mai 2020. Ce dernier s’est tourné vers la Cour supérieure pour obtenir un sursis. Il fait actuellement campagne pour obtenir un nouveau mandat de la part des citoyens.

Quant à la suspension de Sue Montgomery, elle est en attente d’une décision de la Cour supérieure. D’ici là, la mairesse de CDN-NDG tente de conserver la mairie avec le parti qu’elle a créé, Courage.

J’ai demandé à Jean-Philippe Marois s’il croyait que les élus punis et les autres instances prennent les décisions de la CMQ au sérieux. « Par respect pour la Cour supérieure, je limiterai mes commentaires à dire que le législateur a souhaité mettre en place un processus qui est impartial, qui fonctionne selon les règles de l’art et qui est rigoureux. »

En tout cas, la CMQ semble avoir la confiance absolue de la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, qui, par l’entremise du projet de loi 49 (qui devrait être adopté au cours des prochaines semaines), souhaite accroître les pouvoirs de la CMQ.

D’abord, ce tribunal administratif serait en mesure d’imposer des amendes pouvant aller jusqu’à 4000 $ aux élus à l’origine d’une entorse à l’éthique. Contrairement aux frais rattachés à la défense des élus qui sont acquittés par les municipalités, ces amendes devront être payées par ceux qui seront pris en défaut.

De plus, les gestes répréhensibles qui étaient auparavant traités par le ministère des Affaires municipales à travers le bureau du Commissaire à l’intégrité municipale et aux enquêtes (CIME) seront maintenant placés sous la responsabilité de la CMQ.

« Souvent, les dossiers commencent en éthique et en déontologie, mais débouchent sur des gestes répréhensibles, dit Jean-Philippe Marois. Parfois, c’est le contraire. C’est logique d’intégrer ce bureau à la CMQ. »

On entend par « geste répréhensible » un acte dérogatoire aux lois provinciales. Par exemple une faute dans l’attribution d’un contrat public. Les enquêtes au sujet de gestes criminels demeurent toutefois sous la responsabilité de l’UPAC.

Vous êtes nombreux à me faire part d’irrégularités que vous observez dans votre milieu. Vous m’acheminez parfois des dossiers fort bien montés. Il est bon de savoir que la CMQ est là pour recevoir vos divulgations.

Alors que des milliers de candidats tentent actuellement de se faire élire dans les municipalités du Québec, il est bon aussi de leur rappeler qu’il existe des chiens de garde qui les observent. Et que les citoyens en font partie.

Consultez les sanctions et décisions de la CMQ

Décisions et sanctions de la CMQ depuis 2018

Du 1er avril 2018 au 31 mars 2019 : 20 décisions ont été rendues (dont des décisions interlocutoires) parmi lesquelles 2 suspensions ont été ordonnées (même élu, 2 suspensions distinctes), de même que 6 réprimandes et 6 remboursements.

Du 1er avril 2019 au 31 mars 2020 : 27 décisions ont été rendues, 14 suspensions ordonnées, de même que 2 remboursements, 2 réprimandes et un engagement à ne pas se porter candidat à une élection municipale pendant cinq ans.

Du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 : 31 décisions ont été rendues, 20 suspensions ont été ordonnées, de même que 1 remboursement.

Du 1er avril 2021 à aujourd’hui (année courante) : 20 décisions ont été rendues à ce jour, 13 suspensions ont été ordonnées, de même que 3 remboursements et 1 formation obligatoire.