Cela fait un an jour pour jour que Joyce Echaquan est morte, sous une pluie d’insultes racistes, dans l’hôpital où elle aurait pu être sauvée. Un an que la fin tragique de cette femme atikamekw de 37 ans, mère de sept enfants, nous hante, que l’on tente d’en faire l’autopsie et surtout d’en tirer des leçons.

« La mémoire de Joyce ne doit pas s’effriter », a dit son conjoint Carol Dubé, dans une déclaration écrite rendue publique lundi.

Elle ne doit pas, non. Mais pour l’heure, on peine toujours à l’honorer.

On peut certainement dire que Joyce Echaquan a éveillé des consciences au sujet du racisme anti-autochtone dans le système de santé. Devant sa vidéo en direct de son lit d’hôpital, impossible de détourner le regard, de faire comme si ça n’existait pas. Elle nous a obligés à regarder en face la réalité insoutenable du racisme systémique. Une réalité héritée des politiques canadiennes colonialistes menant à la déshumanisation des peuples autochtones. Une réalité connue, dénoncée et documentée depuis longtemps, mais encore trop souvent niée.

« Joyce a été un ange pour nous », me dit, la voix brisée, Andrée Paul, infirmière de la Nation innue. Un ange qui aura donné le courage à des personnes autochtones de briser le silence et d’amorcer un dialogue essentiel.

« Beaucoup de mes collègues infirmières allochtones m’ont dit : ‟On n’avait jamais vu les choses de cette façon. On n’avait jamais réalisé l’ampleur des problèmes vécus par les communautés autochtones” », dit Mme Paul, qui participera mardi soir à une veillée à la mémoire de Joyce Echaquan organisée par la coalition Uni.e.s pour Joyce et le collectif Soignons la justice sociale.

Cet éveil des consciences, accentué par l’histoire déterrée des pensionnats autochtones revenue nous hanter au printemps, a quelque chose d’inédit et d’encourageant pour la suite des choses. La sénatrice Michèle Audette, qui a longtemps milité dans une relative indifférence pour les droits des Autochtones, n’avait jamais rien vu de tel. Des inconnus l’arrêtent dans la rue, bouleversés. « Je n’ai jamais senti autant de culpabilité et de prises de conscience de la part d’inconnus. Même avec un masque, des gens viennent me voir et me disent : ‟Je n’en reviens pas que ça se passait ici. J’ai envie de vous prendre dans mes bras, mais la COVID ne veut pas.” »

Malheureusement, en dépit de l’électrochoc du 28 septembre 2020 et de la prise de conscience qui a suivi, trop peu de choses ont changé.

« Le système a perduré dans un statu quo qui fait trop mal », constate Michèle Audette avec déception.

Même constat pour Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, qui me parle de changements « à pas de tortue », donnant à croire que les décideurs n’ont pas vraiment saisi l’urgence et la gravité du problème.

C’est bien beau, par exemple, d’avoir ordonné une formation obligatoire sur les réalités autochtones dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan. Mais quand on voit, un an plus tard, que seulement 1 % du personnel du réseau de la santé l’a reçue et qu’il n’est même pas question de formation continue, on est davantage au rayon de la « bonne conscience » qu’à celui de l’éveil des consciences.

Lisez l’article « La formation obligatoire se donne au compte-gouttes »

Pour honorer la mémoire de Joyce, il serait urgent de reconnaître l’existence du racisme systémique et de garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé.

C’est l’esprit même du Principe de Joyce, que réclament Carol Dubé, la communauté atikamekw et plusieurs autres voix. Le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, a salué l’initiative et a dit vouloir l’inclure dans son plan de match de « sécurisation culturelle ». Mais il refuse d’adopter le Principe de Joyce, sous prétexte que l’expression « racisme systémique » divise et qu’il faudrait se concentrer sur l’action.

Bref, il est d’accord sur le principe, tout en étant en désaccord sur le principe… Vous suivez ? Moi, j’ai vraiment du mal.

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, avoue qu’il a aussi du mal à suivre ce qu’il voit comme un « braquage continu » du gouvernement du Québec alors que le Principe de Joyce a fait son chemin dans les rangs des Premières Nations et que le gouvernement fédéral y a adhéré.

Ce n’est pas un débat sémantique. C’est une question de principe. Un principe, c’est le fondement d’un raisonnement, ce qui définit un mode d’action. On ne peut pas le reconnaître à moitié.

« Quand on dit : on reconnaît le Principe de Joyce, mais on a un problème avec le racisme systémique, il y a quelque chose d’illogique là-dedans. Le Principe de Joyce est un principe intégral qui reconnaît le racisme systémique. »

C’est d’autant plus illogique qu’il est faux de croire que la notion divise autant que le prétend le gouvernement. Le racisme systémique a été reconnu par le Collège des médecins et par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. « Je pense que ça fait consensus partout sauf au gouvernement du Québec. »

Par ailleurs, lorsqu’on sonde l’opinion publique au sujet des enjeux autochtones au Québec, on réalise que la population a un pas d’avance sur le politique. Neuf Québécois sur dix estiment que le gouvernement Legault doit en faire davantage pour lutter contre le racisme et la discrimination à l’endroit des Premières Nations du Québec, révélait un sondage Léger fait avant la tragédie de Joyce Echaquan1.

Ce qui me donne à croire que ce qui finit par diviser et miner les efforts de réconciliation avec les peuples autochtones, ce n’est pas tant le concept que le refus de le reconnaître à la mémoire de Joyce.

Un an après sa mort, ce triste constat : des larmes à la justice, le chemin est encore long.

1 Consultez l’article « Racisme envers les Autochtones : les Québécois croient que Legault doit en faire plus »