(Québec) Ordonnée dans la foulée de la mort tragique de Joyce Echaquan, il y a un an, la formation obligatoire sur les réalités autochtones a été suivie par 1 % des employés du réseau de la santé et des services sociaux. Québec devra forcément accélérer la cadence : d’ici six mois, la moitié des travailleurs devront l’avoir suivie.

Le gouvernement Legault a déployé une formation obligatoire pour tous les employés des CISSS et des CIUSSS en novembre dernier, en réaction au décès de Joyce Echaquan, morte sous les insultes racistes du personnel soignant, le 28 septembre 2020, à l’hôpital de Joliette, dans Lanaudière.

Sa mort a été « un électrochoc » pour tout le monde, y compris le gouvernement, pour reprendre l’expression du ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière.

Québec a voulu sensibiliser rapidement le personnel soignant à la culture autochtone pour accroître la sécurisation culturelle, qui consiste à offrir un environnement sécurisant pour les membres des Premières Nations et les Inuits dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Vérification faite une année plus tard, une formation intitulée « Sensibilisation aux réalités autochtones » est offerte aux employés depuis le 1er juin.

Il incombe aux établissements de s’assurer que tous leurs travailleurs l’auront suivie avec succès d’ici un an, soit le 30 septembre 2022.

Pour le moment, 5224 employés sont inscrits pour suivre la formation, dont 3466 l’ont terminée. C’est un peu plus de 1 % des quelque 300 000 employés du réseau public. Québec demande que la moitié de ces travailleurs aient terminé le programme au 31 mars 2022, dans six mois.

Formation condensée de 90 minutes

L’élaboration de cette formation était pourtant déjà en branle bien avant la mort de Joyce Echaquan.

Un programme de six heures, destiné aux fonctionnaires de l’État, était en préparation depuis 2018 dans le cadre du Plan d’action gouvernemental pour le développement social et culturel des Premières Nations et des Inuits 2017-2022. L’anthropologue abénaquise Nicole O’Bomsawin et la professeure à l’UQAM Laurie Guimond avaient à l’époque été chargées d’en établir le contenu. Au moins 80 intervenants autochtones ont collaboré au projet, a précisé Mme O’Bomsawin.

Mais après la mort de Joyce Echaquan, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a condensé ce programme en une formation obligatoire de 90 minutes. Le MSSS a refusé à La Presse l’accès au contenu, puisque la plateforme d’apprentissage numérique « n’est pas accessible au public ». Mme O’Bomsawin n’y a pas eu accès non plus.

Selon les informations transmises par le MSSS, la formation se divise en « deux modules ». Le premier, appelé « Histoire et peuplement », dure une heure et permet de « revisiter l’histoire » et de « prendre connaissance des incidences multiples et multiformes des politiques d’assimilation sur les peuples autochtones ».

La seconde partie, d’une durée de 30 minutes, s’intéresse aux « pratiques à adopter », comme « nommer adéquatement les Autochtones », « adopter de bonnes pratiques en matière de communication et interculturelles » et « saluer et remercier dans les langues autochtones ».

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Dans la communauté atikamekw de Manawan, des images de Joyce Echaquan honorent la mémoire de la mère de famille.

À noter qu’environ 12 000 employés du CISSS de Lanaudière ont pour leur part suivi une autre conférence sur les réalités autochtones, d’une durée de trois heures, déployée dès octobre 2020.

Une « mise à niveau » nécessaire

Selon le gestionnaire des communications de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Médérik Sioui, la formation écourtée offerte aux employés du réseau a une « structure très occidentale, très “gouvernement du Québec” ».

La Commission n’a pas participé à l’élaboration de la formation, mais y a eu accès par la suite.

C’est une formation qu’on salue, qui va dans le bon sens. Cependant, je pense que ça transparaît d’une certaine façon que les organisations et les communautés autochtones sont des collaborateurs, non des leaders.

Médérik Sioui, gestionnaire des communications de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador

M. Sioui la qualifie de « mise à niveau » nécessaire. « Je pense que c’est important de mettre les gens à un niveau similaire. Il faut prendre conscience qu’il y a des gens qui partent de loin », souligne-t-il.

Son organisation planche d’ailleurs sur un deuxième volet qui traite davantage de la « compétence culturelle » et qui devrait avoir « beaucoup plus d’impacts sur le terrain », a-t-il estimé. Mais on ignore encore si cette deuxième portion sera rendue obligatoire pour le personnel de la santé.

Le MSSS souligne que la formation obligatoire « constitue un point de départ » d’une approche globale « allant de la sensibilisation des employés à la formation des intervenants et des gestionnaires ». Des travaux seront réalisés jusqu’en 2025.

Québec encourage d’ailleurs les établissements à déployer des programmes de formation supplémentaire. Au moins 7 des 11 CIUSSS et CISSS sondés par La Presse en offrent déjà. Un guide présentant « les meilleures pratiques » en lien avec la sécurisation culturelle leur a été fourni le 27 mai dernier.

« La formation n’est pas un vaccin »

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Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones

Le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, sait bien que la nouvelle formation n’est pas le remède à tous les problèmes. « La formation n’est pas un vaccin. Ça doit se faire en continu. On ne pourra jamais dire que c’est complètement réglé. Il faut continuer de sensibiliser et former le personnel », a-t-il indiqué dans une déclaration transmise à La Presse. Il soutient que d’autres formations suivront et qu’il « faut se donner le temps de bien faire les choses ». M. Lafrenière assure qu’à la lumière de témoignages obtenus, la formation semble « beaucoup appréciée » sur le terrain.

« C’est une première brique »

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Le DStanley Vollant

Selon le DStanley Vollant, une formation de 90 minutes est insuffisante. « Une formation comme ça ne rend pas sensible et compétent auprès des Premières Nations, c’est une première brique. Il devrait d’après moi avoir plusieurs formations, une heure et demie, ce n’est pas assez », estime le chirurgien innu. Il plaide d’ailleurs pour une formation continue. « Si c’est juste une année, les gens, dans deux, trois ans, vont déjà avoir oublié et ils vont revenir à de vieilles habitudes. Ça se perd vite, cette sensibilité interculturelle », a-t-il ajouté. Lui-même a offert une conférence aux gestionnaires du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, où il pratique.

Le cas de Joliette

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Veillée à la mémoire de Joyce Echaquan devant l’hôpital de Joliette, le 29 septembre 2020

Le CISSS de Lanaudière a déployé une formation bien spécifique, qui se décline en trois volets. Déjà, 12 000 travailleurs ont suivi une conférence virtuelle sur les réalités autochtones. Le deuxième volet sur la « sécurisation culturelle » a été déployé en juin et 5000 employés l’ont suivi. Un dernier volet sous forme d’atelier est à venir à l’automne. C’est l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) qui a élaboré les volets 2 et 3. « Notre démarche, c’est qu’on travaille vraiment par, pour et avec les communautés autochtones depuis au moins une vingtaine d’années. On ne le fait jamais tout seuls », explique la directrice du service de la formation continue de l’UQAT, Linh Tran.

En chiffres

15 millions

Somme accordée par Québec pour déployer une série de mesures visant à renforcer la sécurisation culturelle des membres des Premières Nations et des Inuits dans le réseau de la santé et des services sociaux après la mort de Joyce Echaquan

9

Nombre d’agents de liaison autochtones en poste dans le réseau en date du 22 septembre.