Stephen Harper avait l’habitude des micromesures ciblées pour une clientèle électorale.

Du genre un crédit d’impôt pour les pompiers volontaires. Ça ne touchait pas grand monde, ça ne changeait pas grand-chose, mais le département du marketing était satisfait. On en déduisait que les conservateurs étaient contre les incendies, et pour les Canadiennes et Canadiens qui travaillent fort afin de les combattre. Comment y rester insensible ?

Lundi, son successeur, Erin O’Toole, s’est éloigné de cette approche. Il a mis de l’avant une promesse ennuyante. Tellement soporifique que je n’ai pas osé la placer en début de texte. Voici donc : le chef conservateur veut hausser massivement les transferts en santé.

Rien de très vendeur. On parle d’une enveloppe et d’un pourcentage d’augmentation pour un transfert aux provinces. Ce n’est même pas de l’argent que le fédéral dépenserait lui-même. La promesse est à la fois aride et vitale pour l’avenir des finances publiques des provinces.

Un nouveau déséquilibre fiscal s’est créé à cause du vieillissement de la population, qui gonfle la facture des soins de santé. Les provinces peinent de plus en plus à les payer. Comme l’ont démontré plusieurs rapports, leurs finances ne sont pas viables à long terme. Ce n’est pas le cas du fédéral, malgré la dette colossale héritée de la COVID-19.

Lisez le rapport du Conference Board « Les facteurs de croissance des coûts des soins de santé au Canada »

D’où la promesse des conservateurs : hausser les transferts en santé d’« au moins 6 % » par année. Ils augmentent en ce moment d’environ 3 %.

François Legault ne hurlera pas victoire. Cela ne répond qu’à moitié à sa demande. Les provinces voulaient que le fédéral commence par payer 35 % de leurs dépenses en santé, plutôt que 22 %*. Elles souhaiteraient que la hausse annuelle se fasse ensuite à partir de cette somme bonifiée, et non à partir du niveau actuel.

La différence est substantielle. Reste qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que les conservateurs cèdent d’emblée sur toute la ligne. Ils promettent de négocier ces aspects dans les 100 premiers jours de leur mandat.

Le seul bond comparable des transferts en santé remonte à Paul Martin. En 2004, le premier ministre libéral avait fait cette concession aux provinces, car son statut minoritaire le plaçait en position de faiblesse. Ce fut l’exception à la norme. Depuis, Ottawa est revenu à son habitude de briser le front commun des provinces pour leur imposer ensuite son modèle de financement.

D’un point de vue stratégique, cela se comprend. Le fédéral n’a rien à gagner à envoyer de l’argent aux provinces. Il préfère gérer les programmes ou dicter ses conditions et dessiner une feuille d’érable rouge foncé sur chaque annonce.

Alors pourquoi M. O’Toole s’éloigne-t-il de cette tradition ? Pour la même raison qu’il a dévoilé sa plateforme dès le jour 2 de la campagne. Parce qu’il est en retard dans les sondages, qu’il est peu connu et qu’il doit prendre des risques. Signe de ses misères, les Canadiens ne lui feraient pas plus confiance qu’à M. Trudeau pour relancer l’économie. Et si on parle d’environnement ou de justice sociale, c’est pire.

M. O’Toole a donc pris les devants en déposant une brique de promesses. Avec d’ailleurs une étonnante photo en couverture, qui ressemble à une édition de magazine de mise en forme ou à une pub de shakes aux protéines.

L’espace manque ici pour analyser l’œuvre en détail. Outre les transferts en santé, d’autres flirts avec le Québec retiennent l’attention.

Les conservateurs veulent empêcher un financement indirect des contestations de la Loi sur la laïcité de l’État et garantir un pourcentage minimal de députés québécois à la Chambre des communes, en plus de promettre des négociations pour céder des pouvoirs en immigration et créer une déclaration de revenus unique.

Mais ces gains viendraient avec un gros recul. Sans surprise, les conservateurs arrêteraient la création d’un réseau national de garderies. Cela impliquerait que le Québec perdrait le chèque annuel de près de 1 milliard de dollars obtenu par l’entente récemment signée avec le gouvernement Trudeau. J’en ai parlé avec Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. En convertissant la déduction actuelle pour frais de garde en crédit d’impôt remboursable, les conservateurs aideraient un peu mieux les familles moins nanties, confirme M. Godbout. Mais le Québec perdrait néanmoins la compensation qui venait avec le réseau national.

L’histoire se répète. En 2005, Paul Martin avait signé des ententes avec le Québec et la majorité des autres provinces pour créer un réseau national de garderies. Mais M. Harper avait annulé le programme pour le remplacer par une déduction fiscale, rappelle M. Godbout.

Là-dessus, M. O’Toole colle à la philosophie conservatrice de ses prédécesseurs. Méfiant par rapport aux programmes sociaux, il préfère remettre de l’argent directement dans les poches des citoyens par l’entremise d’un crédit d’impôt. C’est vendeur. Mais moins structurant, comme le prouve l’expérience québécoise des centres de la petite enfance.

Le flirt conservateur avec le Québec restera donc imparfait du point de vue de François Legault. D’ailleurs, le premier ministre du Québec présentera à nouveau une liste de demandes. Selon mes informations, cela risque fort de se faire la semaine prochaine.

Les chefs fédéraux seront attentifs. Et un brin inquiets aussi, s’ils n’ont pas oublié la précédente campagne…

* Le directeur parlementaire du budget arrive à un calcul différent au sujet du pourcentage de dépenses en santé payées par le fédéral.

Lisez l’analyse du directeur parlementaire du budget