À la seule vue de la clinique de vaccination, Marie-Hélène Desmarais était prise de panique. « J’avais de grosses chaleurs, j’étais étourdie. Je vomissais dans le parking tellement c’était intense. »

Sa peur était immense. Irrationnelle.

Chaque fois, Marie-Hélène tournait les talons. Sans avoir retroussé sa manche.

Elle a répété ce manège à une dizaine de reprises.

La dernière fois, elle a parlé au gardien de sécurité, qui a appelé une infirmière à la rescousse. L’infirmière lui a fait visiter les installations. Elle a tout fait pour la rassurer. Gentiment. Patiemment.

Marie-Hélène s’est assise… On lui a désinfecté le bras… La seringue s’est approchée…

Elle a crié « NON ! » et s’est enfuie.

On l’aura compris, la Montréalaise de 47 ans a une phobie du vaccin. Pas de l’aiguille, mais du vaccin lui-même. De ses effets potentiels. De ses risques, même minimes.

« J’avais honte de ne pas être capable. Je me sentais toute seule. J’ai vraiment trouvé cela difficile, parce que moi, je voulais faire partie de la solution. »

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-HÉLÈNE DESMARAIS

Marie-Hélène Desmarais

Marie-Hélène Desmarais n’a rien d’une antivax.

Vous ne l’auriez jamais trouvée, le week-end dernier, au Festival des Gaulois qui résistent encore et toujours aux mesures sanitaires…

Et pourtant, j’en entends déjà soupirer d’exaspération : ce n’est pas tellement mieux, dites-vous, si elle a peur que le ciel lui tombe sur la tête !

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On en a ras le bol, de cette pandémie.

Et parce qu’on en a ras le bol, on a tendance à mettre tous les non-vaccinés dans le même panier : celui des égoïstes, des complotistes et des négationnistes.

Pour faire court (et méchant), on les appelle les covidiots. Ça défoule, sans doute. Mais ça ne reflète pas la réalité. Pas entièrement, en tout cas. Et ça ne mène à rien. C’est même contre-productif, selon les experts.

Mais au diable les experts, dites-vous encore, tout le monde est à cran ! La frustration monte, dans la rue comme sur les réseaux sociaux. Ça se comprend, après 16 mois de sacrifices, alors qu’une quatrième vague nous pend au bout du nez…

Nous revoici donc à la case départ. C’est d’autant plus frustrant qu’il existe désormais une solution à cette crise. Une potion magique qui nous permettra de résister à l’envahisseur. Le vaccin.

Alors oui, il est désespérant, révoltant même, de constater que des milliers de gens refusent de participer à ce grand – et urgent – exercice d’immunisation collective. Mais ce n’est pas en les traitant d’imbéciles qu’on réussira à les faire changer d’avis.

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Je ne parle pas des complotistes qui se radicalisent sur les réseaux sociaux : ceux-là sont irrécupérables. Même leurs proches n’arrivent plus à les raisonner. Ils se sont joints à une sorte de secte et, franchement, ça fait peur.

Je parle de tous les autres.

Des gens comme Marie-Hélène Desmarais.

Pendant des mois, Marie-Hélène a fui la désinformation propagée sur le web. Mais elle a lu tout ce qu’elle pouvait trouver sur le vaccin à ARN messager. Elle avait besoin de comprendre les risques et les bénéfices associés à cette nouvelle technologie.

On peut supposer que, sans qu’il s’agisse d’une phobie, bien des Québécois hésitants doutent de l’efficacité du vaccin de Pfizer, approuvé dans l’urgence. L’approbation formelle de la Food and Drug Administration, que l’on dit imminente, pourrait rassurer une partie d’entre eux.

D’autres non-vaccinés entrent dans le panier des apathiques : sans être contre le vaccin, ils n’en font pas une priorité. D’autres encore craignent des effets secondaires à long terme. Ils préfèrent attendre.

Le problème, c’est que le temps est compté. Il faut agir maintenant pour éviter que la prochaine vague ne submerge les hôpitaux. On n’a pas le luxe de pouvoir attendre.

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Christian Dubé l’a bien compris. « N’attendez pas de frapper un mur en septembre », a prévenu mardi le ministre de la Santé. Son passeport vaccinal a le mérite de brasser le panier des apathiques. Pour eux, le vaccin devient soudain une priorité.

Mais pour les autres…

Les complotistes se braqueront davantage. Ils s’étrangleront de rage et crieront à la dictature sanitaire. Tant pis : c’est le panier des irrécupérables.

Les hésitants comme Marie-Hélène Desmarais, eux, n’ont pas besoin d’être convaincus par un passeport vaccinal ; ils ont besoin d’être rassurés.

Pour Marie-Hélène, c’est la méthode douce qui a fonctionné.

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Pour elle, c’est la clinique mobile d’Édith Lamarche et de son équipe qui a fait la différence.

À bord de leur camionnette tout équipée, les infirmières du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal écument les quartiers de Montréal-Nord et de Saint-Laurent, à la rencontre des hésitants, des craintifs et des autres. Elles prennent le temps d’écouter, d’expliquer. Chaque piqûre est une victoire.

PHOTO ALEXIS AUBIN, COLLABORATION SPÉCIALE

De gauche à droite, le travailleur de quartier Philippe Madore et les chefs d’équipe Édith Lamarche et Julien Capolupo, qui travaillent à la clinique mobile de vaccination qui a su rassurer Mme Desmarais.

Samedi, la Vaccivan s’est arrêtée dans un parc de Saint-Laurent. « J’ai senti que c’était ma chance, dit Marie-Hélène Desmarais. C’était juste en face de chez nous. Juste le fait d’être à l’extérieur, c’était totalement différent. Ce n’était pas un environnement stérile, genre hôpital. »

Pour lui éviter une crise d’angoisse, une amie est allée expliquer la situation aux infirmières. Édith Lamarche a évalué Marie-Hélène par téléphone. Marie-Hélène est ensuite sortie de chez elle pour se rendre à la Vaccivan. Une minute plus tard, elle était vaccinée.

Elle n’a même pas eu le temps d’avoir peur.

Je leur ai dit : « Vous venez de vacciner celle qui avait la plus grosse peur du vaccin au Québec. Chapeau ! » Tout le monde avait les larmes aux yeux.

Marie-Hélène Desmarais

Marie-Hélène n’a pas eu la force de rester sur place pendant les 15 minutes requises en cas d’effets secondaires. Pas de problème, je vais te suivre, lui a dit Édith Lamarche. « Je me suis assise sur mon perron et elle est restée 15 minutes à côté de moi ! »

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En rentrant chez elle, Marie-Hélène Desmarais a écrit sur Twitter qu’elle avait vaincu sa peur. Elle l’a fait pour soutenir ceux qui sont terrifiés par le vaccin, comme elle, mais qui n’osent pas le dire. Non, ils ne sont pas seuls.

À sa grande surprise, son tweet a été aimé par des milliers d’abonnés et relayé des centaines de fois, y compris par le ministre Dubé. Elle a reçu une tonne de félicitations et d’encouragements.

Avouez que ça fait changement. Un peu de douceur sur les réseaux sociaux. Un peu de respect.