Il était une fois au royaume du Nord des temps difficiles. Une pandémie mondiale avait frappé de plein fouet ses habitants. Faisant, dès le départ, plus de victimes que dans toutes les contrées voisines. Les gens devaient vivre masqués, distancés, enfermés. On leur avait dit que cela ne durerait que quelques semaines, mais voilà qu’un an plus tard, l’horizon était toujours bouché, laissant entrevoir un sombre arc-en-ciel, en nuances de gris.

Éloignés de leurs parents et amis, privés d’activités, de sorties, de distractions, il ne restait plus, pour égayer leur vie, que la passion nationale : le hockey. Ils ne pouvaient pas assister aux matchs, mais au moins, ils pouvaient les regarder à la télé.

Jadis leur équipe était la Reine du circuit, couverte de bagues, de trophées et de Coupes Stanley. C’était la plus grande des dynasties et l’objet de leur fierté. Des exploits de légende que les aïeux ne cessaient de raconter. Malheureusement, toute cette gloire n’appartenait plus qu’à un lointain passé. Depuis des décennies, le feu s’était éteint. Ne restait que les cendres.

Malgré tout, saison après saison, le peuple ne cessait d’y croire, ce qui rendait encore plus cruelles leurs déceptions.

Au début du nouveau calendrier, le club tricolore, fidèle à son habitude, ne cessait d’accumuler les victoires, ce qui, comme toujours, ravivait tous les espoirs. Mais le départ en lion fit place à une léthargie de mouton. Interminable. Tellement que tout le royaume se mit à douter de ses héros. Le gardien trop cher payé, les vieux trop vieux, les jeunes trop jeunes, le DG à congédier.

L’équipe reniée entrait dans les séries déjà éliminée. Affrontant le royaume de Toronto, bien plus riche, bien plus gros. Tout se passa comme prévu : après quatre parties, le Bleu-blanc-rouge était au bord du gouffre. Ne restait qu’à s’y jeter. Que s’est-il passé ? Quel vaccin l’a piqué ? Le tas de cendres, soudain, est devenu Cendrillon. L’orpheline, la laissée-pour-compte, dont le destin se transforme en conte de fées.

Le CH remporte la première danse. C’est de la chance. Il ne pourra répéter l’exploit contre les guerriers des grandes plaines. Pourtant, la troupe montréalaise traverse Winnipeg d’un seul jet. Bravo ! Mais elle est au bout du rouleau. Le département des miracles est fermé. Contre les Chevaliers dorés, ils vont se faire transpercer. Assuré. Eh bien non, l’underdog, le chien pas de médaille n’en démord pas.

En même temps que leur équipe semble revenir d’entre les morts, les habitants prennent du mieux. La bulle s’agrandit. La lumière passe du rouge au jaune. Au presque vert.

Le nombre des victimes diminue. Le vaccin travaille fort dans les coins. Le corps se renforce, mais l’âme, elle, comment va-t-elle ? Elle pourrait rester marquée par tant de morosité. Tous ces mois à se fuir. À s’éviter. À s’éloigner. À représenter le danger. Comment rétablir la fraternité, la sororité ? Comment se redonner le goût de se rapprocher de l’inconnu, de l’étranger ? À travers une histoire dont nous voulons tous faire partie. À travers un récit dont chaque page nous remplit. À travers une épopée rassembleuse.

Voilà que CHendrillon se présente à la dernière danse du bal. La danse avec le prince. Celle qui peut tout chambouler. Celle qui transforme le rêve en réalité. Ou en cauchemar. Le carrosse se changera-t-il en citrouille ? La Sainte-Flanelle redeviendra-t-elle mortelle ?

Être sage, on pourrait dire : peu importe. Jamais nous ne pensions nous rendre jusque-là. Le trophée Clarence-Campbell, on s’en contentera. Tant pis si Lord Stanley en choisit une autre à la fin.

Vraiment ? NOT. On veut que le conte de fées se termine en conte de fées. Pas en film songé. On ne veut pas pleurer à la fin. On veut rire, sauter, crier. On veut aller à Disneyland. On veut que nos enfants vivent les joies de leurs parents. Qu’ils aient aussi des souvenirs de gagnants à raconter.

Jamais l’expression « équipe Cendrillon » n’a aussi bien convenu à une équipe qu’elle convient à celle du Canadien. Elle lui va comme un soulier de satin. Ou un patin. L’équipe contre qui tout le monde râlait. L’équipe en qui personne ne croyait. Même pas sa famille. Même plus ses fans. Il ne lui restait qu’elle-même pour s’élever.

Comment cette équipe a-t-elle pu renverser sa destinée ? Quand les individus sont-ils devenus un tout ? Quand se sont-ils choisis ? Quand se sont-ils aimés ? C’est leur secret. On aura beau demander aux joueurs, aux entraîneurs, ils ne nous le diront jamais. Le savent-ils eux-mêmes ? Pas de la tête. Sûrement du cœur. Mais le cœur ne parle pas, il agit. Sans calculer. Sans réfléchir. Il ne faut pas réfléchir pour se jeter devant un tir. Pour accepter de se faire étamper après avoir passé la rondelle à un coéquipier.

L’équipe qui gagne la Coupe Stanley, c’est celle qui a le plus souffert. Qui a le visage de Corey Perry. Coupé. Lacéré. Tuméfié.

De l’extérieur, c’est un conte de fées.

De l’intérieur, c’est une guerre de tranchées.

Il n’y a pas de fée marraine. Pas de coup de baguette magique. Mais des coups de bâton sur les bras, au visage, dans le dos.

L’équipe Cendrillon est l’équipe des écorchés.

Merci de nous faire triper, nous qui vous regardons, bien assis sur nos fesses.

En nous prenant pour vous, sans avoir mal.

Après 16 mois de peurs, de malheurs, l’arc-en-ciel se pointe enfin. Et il est bleu-blanc-rouge.

Bonne finale !

Souhaitons-nous la fin heureuse.