Je ne sais même pas par où commencer pour parler de cette soirée du 24 juin 2021.

Par la pizza de Phillip Danault ?

Tout Cole Caufield, je veux dire sa vitesse, sa dégaine, son élégance, sa joie pure ?

Les astres réels et métaphoriques alignés jeudi, je parle bien sûr du triomphe du club-nation le soir de la fête nationale, la pleine lune qui veillait sur la (somme toute) douce folie qui a fait klaxonner Montréal, au terme de ces 15 mois de misère ?

Marc Bergevin ivre de bonheur de voir son club accéder à la finale, Bergevin qui refait à sa façon La danse à Saint-Dilon, Bergevin « qu’a mis sa belle habit avec ses p’tits souliers vernis, le v’là mis, comme on dit, comme un commis voyageur », selon les mots de Vigneault qui, j’en suis sûr, n’imaginait pas les commis voyageurs en habit rouge…

Le gros plan génial sur le gros gardien Lehner, ce Goliath terrassé, agenouillé, vaincu par ces David en bleu-blanc-rouge qui célèbrent derrière lui après 99 secondes de prolongation ?

Caufield, garçon bien élevé, qui osait à peine prendre une bouchée de sa pizza devant les médias, étouffant un fou rire devant les pitreries de Danault ?

Estifi, je ne sais franchement pas par où commencer pour parler de la soirée du 24 juin 2021…

Il y a tant d’images, de flashs, de mots qui se bousculent quand j’y repense. Cette soirée-là a rempli la boîte à souvenirs de notre imaginaire collectif. Pour citer Catherine Lara : nuit magique. On en parlera encore dans 25 ans. Quelque chose a exulté dans le cœur de Montréal, quelque chose comme une malédiction a peut-être été brisé, celle d’un club qui peinait depuis 28 ans à créer de la magie durable, à trouver l’étincelle – quelque chose aussi comme la fin de cette pandémie…

Le compte Twitter de la Coupe Stanley qui dit « Bonjour, Montreal… » ?

Gallagher qui a la présence d’esprit de ramasser le puck qui vient de percer l’armure des Golden Knights avant d’aller rejoindre ses camarades ?

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Marc Bergevin, directeur général du Canadien, enlace Artturi Lehkonen, auteur du but gagnant en prolongation jeudi soir face aux Golden Knights.

Marc Bergevin dans son costume-porte-bonheur qui étreint ses joueurs comme un père étreint son fils, le soir du bal des finissants – avec la joie pure de celui qui sait à quel point ce soir-là semblait, certains jours, improbable ?

La passe à l’aveugle de Phillip Danault – Jedi en Bauer – sur le but victorieux ; Danault qui expédie sur la palette de Lehkonen une rondelle qui, c’est sûr, a été téléguidée par les Fantômes du Forum (pour ne pas dévier sur le patin de McNabb) ?

J’ai regardé ce match avec les amis chez Sophie, en petit party tirant sur le moyen, premier party en présentiel de la gang depuis…

Depuis quand, au fait ?

Pas grave : nous nous sommes retrouvés comme si nous nous étions vus deux semaines plus tôt, comme si cette pandémie n’avait jamais existé…

Carey Price, récif des espoirs du Nevada, triangle des Bermudes des rondelles ?

Non, s’il faut immortaliser une image de Carey Price, une seule, je préfère celle du gardien sans masque qui, après le match, impassible comme toujours, cherchait sa famille dans les tribunes, leur envoyant des signes de la main…

Le symbole du caractère inclusif de ce club sur le but final, pour citer Mitch Garber ? Arrêt du gardien autochtone, reprise du Canadien anglais qui remet au Québécois, qui refile au travailleur étranger spécialisé… qui la met dedans ! J’aime cette image-là, aussi.

Je ne sais pas par où commencer pour vous parler de cette soirée du 24 juin 2021, peut-être la Saint-Jean la plus frénétique depuis celle de 1990… pour d’autres raisons.

Je reviens à la pizza de Danault, dans le point de presse d’après-match. Je reviens toujours à cette image. Il se présente toujours au point de presse avec une pizza…

Mais jeudi soir, le numéro 24 – y a pas de hasards ! – était comme un p’tit gars qui a mangé trop de bonbons : exubérant, moqueur, irrésistible, loin des réponses robotiques des athlètes professionnels du XXIe siècle…

Non, je ne sais pas par où commencer pour parler de ce 24 juin 2021. Les klaxons, les feux d’artifice partout dans la ville, les attroupements dans les parcs, les commerces du centre-ville qui n’ont pas été saccagés, l’impression que nous ne faisons qu’un : le 24 juin 2021, sous la Lune glorieuse, la division n’existait plus. Tous pour un, un pour tous, tous bleu-blanc-rouge…

Je reviens encore à Danault : après ce match magique d’une soirée magique, il arrive devant les journalistes et il dit quoi ? Il dit, en guise de salutation : « Bonne Saint-Jean !!! », le sourire grand comme ce territoire de Hull à Natashquan, sous son nez qui a été caressé par trop de coups de Sher-Wood…

Ce bon Danault qui, plus tard, a creusé encore plus loin dans le terroir en nous lançant un « Bonne Saint-Han ! » en bouffant le J, comme notre oncle du Lac…

Je ne sais pas par où commencer pour parler du 24 juin 2021, mais on me permettra de souligner un moment qui a malheureusement été un peu enterré par le blabla de la TV, lors des poignées de main d’après-match, le moment où Gens du pays a retenti dans le Centre Bell…

Le temps de s’aimer, le jour de le dire
Fond comme la neige aux doigts du printemps
Fêtons de nos joies, fêtons de nos rires
Ces yeux où nos regards se mirent
C’est demain que j’avais vingt ans

Et quand a-t-il été chanté pour la toute première fois, cet hymne de Vigneault ?

Sur la montagne, par une autre nuit magique, lors d’un autre 24 juin, celui de 1975.