Censés demeurer des « mesures d’exception », l’isolement et la contention de jeunes hébergés dans des centres de réadaptation et des foyers de groupe sont en hausse dans la plupart des régions du Québec.

Des centres et des foyers de groupe à Montréal, en Montérégie, à Laval, en Mauricie, en Estrie, en Abitibi, en Outaouais, à Québec et sur la Côte-Nord, entre autres, connaissent des augmentations depuis 2020, d’après une compilation de La Presse réalisée avec des données transmises en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Dans certains cas, seules les mesures d’isolement grimpent. Dans d’autres, ce sont les mesures de contention ou encore les retraits hors service qui explosent. Et parfois, comme en Mauricie, en Estrie et à Montréal, ce sont les trois à la fois qui augmentent.

Les enfants hébergés en centre de réadaptation sont les plus vulnérables de la société. Le centre, c’est « la dernière ligne » pour des jeunes hypothéqués, souvent issus de familles dysfonctionnelles.

Les CISSS et CIUSSS – de qui relèvent les centres jeunesse et les foyers de groupe – expliquent la hausse importante des mesures de contrôle, notamment, par l’augmentation du nombre d’enfants placés au Québec depuis la pandémie.

Dans plusieurs régions, des unités de débordement ont dû être ouvertes. Dans ce contexte, des unités censées servir à apaiser des jeunes en crise ont parfois été transformées en unités de vie, privant du même coup les intervenants d’outils précieux.

Conséquence : ces mêmes intervenants ont davantage recours à la contention et à l’isolement. C’est ce qu’on observe à Laval et à Montréal.

Il reste que la hausse des mesures de contrôle dans certaines régions est bien supérieure – en proportion – à l’augmentation du nombre de jeunes hébergés.

Les cas sont aussi plus complexes qu’avant, et la détresse est plus grande, indiquent les responsables du programme jeunesse des CISSS et des CIUSSS où les hausses sont ressenties.

« La clientèle s’alourdit », confirme Mélany Rivard, coordonnatrice du site Dominique-Savio, à Montréal, où les mesures ont explosé. On voit plus de diagnostics de troubles mentaux et de multiples traumatismes – physiques et sexuels –, parfois chez un même jeune, dit-elle.

Ici, les salles d’isolement sont utilisées tous les jours.

Beaucoup y sont envoyés pour « leur propre sécurité », explique le chef de la permanence de ce site, Jean-Frédérick Beaulieu. On parle d’enfants qui se mutilent, se frappent la tête sur les murs, agressent d’autres jeunes ou attaquent les intervenants, par exemple.

Verrouillées, certes, mais grandes et lumineuses, les salles d’isolement à Dominique-Savio n’ont rien à voir avec celles s’apparentant à des « cellules » où des « tannants » de seulement 9 ans étaient envoyés au centre Cartier de Laval – jusqu’à ce que La Presse révèle cette pratique plus tôt cette année.

Ici, des fenêtres laissent pénétrer la lumière du jour. Des toutous, des couvertures lourdes et d’autres objets sensoriels sont à la disposition des enfants. De la musique calme y joue. L’éclairage est tamisé le soir.

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Mélany Rivard, coordonnatrice du site Dominique-Savio

En aucun cas ces mesures ne peuvent être utilisées pour punir, intimider ou modifier le comportement de la personne ou encore pallier la rareté de personnel. Il y a même des jeunes qui demandent d’y aller pour prendre une pause de la vie de groupe “pas toujours facile”.

Mélany Rivard, coordonnatrice du site Dominique-Savio

Le cas des « grands utilisateurs »

À Dominique-Savio, de « grands utilisateurs » des mesures de contrôle viennent augmenter les statistiques de façon draconienne. Ce sont 9 % des jeunes hébergés qui sont concernés par 86 % des mesures.

Comme la petite Maya* qui a atterri ici après avoir passé les huit premières années de sa vie dans une cage. Elle en sortait seulement pour être utilisée comme jouet sexuel.

Ou encore cette autre fillette hébergée, 11 ans celle-là, avec qui la mère a coupé les ponts du jour au lendemain. L’enfant est convaincue qu’il lui est « arrivé quelque chose », incapable de s’imaginer que sa mère – sa seule famille – ait pu l’abandonner. Depuis, la petite fait crise après crise.

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Jean-Frédérick Beaulieu, chef de la permanence du site Dominique-Savio

Ce genre d’enfants « aux multiples traumas » peut se « désorganiser » sept ou huit fois par jour pour bien faire comprendre aux adultes « de se tenir à distance », illustre Jean-Frédérick Beaulieu.

Même son de cloche ailleurs au Québec. « Le jeune de 6 ans qui nous arrive en 2024 n’a rien à voir avec celui qui nous arrivait en 2000. C’est deux mondes », dit le directeur adjoint de l’hébergement jeunesse, de la réadaptation et de la délinquance au CIUSSS de la Mauricie-et-Centre-du-Québec, Mathieu Bédard.

Représentant de la catégorie du personnel paratechnique, des services auxiliaires et métiers à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Guillaume Clavette constate que les jeunes hébergés sont « beaucoup plus médicamentés aujourd’hui ».

Avant, c’était environ la moitié des enfants qui prenaient des médicaments. Maintenant, ils en prennent presque tous. Il y a beaucoup de cas de santé mentale. Et la formation du personnel pour ça est parfois négligée.

Guillaume Clavette, représentant de la catégorie du personnel paratechnique, des services auxiliaires et métiers à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN)

En entrevue avec La Presse à la fin d’avril, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, avait expliqué que la présence de plus en plus marquée d’enfants atteints de déficience intellectuelle ou d’un trouble du spectre de l’autisme (DI-TSA) en centre jeunesse a une incidence sur les mesures de contention. Le ministre a dit vouloir « sortir ces enfants des centres jeunesse pour les mettre dans des milieux plus adaptés » et offrir plus de répit aux familles.

Aux yeux du ministre, la solution passe par « la bonne formation des éducateurs », c’est-à-dire la formation ARC (attachement, régulation et compétence). « Là où ils ont eu cette formation-là, on voit que le taux de contention et d’isolement diminue. On veut que tous les éducateurs [la] suivent », a-t-il dit.

Les éducateurs parviennent à créer un lien de confiance avec les enfants, « mais ça demande du temps, beaucoup de patience, de cohérence et de stabilité », souligne M. Bédard, du CIUSSS de la Mauricie.

Pénurie criante d’éducateurs

Dans la métropole, la pénurie d’éducateurs est telle que des unités de débordement ont été ouvertes « beaucoup avec du personnel d’agence », admet le directeur du programme jeunesse au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Jason Champagne.

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Jason Champagne, directeur du programme jeunesse au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Son CIUSSS ne peut pas se passer de cette main-d’œuvre indépendante, mais il tente par tous les moyens de la recruter et ainsi offrir une stabilité aux enfants, affirme M. Champagne.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Delphine Collin-Vézina, professeure à l’École de travail social de l’Université McGill

Le fait que 50 % des postes en protection de la jeunesse soient vacants fragilise les équipes. Des personnes avec peu d’expérience ou sur les listes de rappel [agences] sont appelées en renfort.

Delphine Collin-Vézina, professeure à l’École de travail social de l’Université McGill

« Comment un jeune peut-il se sentir en sécurité et s’apaiser s’il voit passer de nouveaux visages si souvent ? Des gens qui ne le connaissent pas, qui le décodent mal, poursuit Delphine Collin-Vézina. Alors est-ce que ce sont les jeunes qui sont plus complexes ou les milieux qui sont moins rassurants pour eux ? »

Évitons de jeter « le blâme » sur les enfants placés ou sur « les intervenants qui portent à bout de bras un système qui vit une crise incomparable », conclut Mme Collin-Vézina.

* Prénom fictif puisque la loi ne nous permet pas de l’identifier

En savoir plus
  • 250
    Nombre de jeunes DI-TSA parmi les 3000 hébergés en centres jeunesse au Québec
    ministère de la Santé et des Services sociaux
    Mesure d’isolement
    Mesure de contrôle exceptionnelle qui consiste à confiner un enfant pour un temps limité, dans un lieu d’où il ne peut sortir librement.
    Mesure de contention
    Mesure de contrôle exceptionnelle qui consiste à empêcher ou à limiter la liberté de mouvement d’un enfant en utilisant la force humaine nécessaire ou un moyen mécanique.
    Retrait hors service
    L’usager est mis à l’écart de son milieu de vie. Il est transféré dans un lieu aménagé pour permettre le retrait et où il est seul, sans pour autant y être enfermé.
    CISSS DE LAVAL