Un citoyen de Magog, furieux du remblai laissé par une déneigeuse devant son entrée, lance sa pelle en direction du conducteur de l’engin.

La situation, heureusement, ne dégénère pas. Il s’agit en fait d’une vidéo maison tournée mardi dernier où les employés municipaux jouent tous les rôles afin de sensibiliser les citoyens aux limites à ne pas dépasser.

« On m’a confirmé que ce genre d’évènement arrive très fréquemment en saison hivernale », nous répond une porte-parole de la municipalité estrienne, Claudia Fortin.

D’autres scènes où un fonctionnaire municipal se fait crier dessus, en remettant une contravention ou en répondant au téléphone, ont aussi été filmées. La Ville prévoit diffuser ces vidéos sur ses réseaux sociaux la semaine prochaine.

C’est la deuxième fois que Magog tourne ce genre de petites vidéos amateurs. La première série, à l’été 2022, montrait des signaleurs routiers enguirlandés et menacés de collision par des automobilistes.

L’effet est « difficile à comptabiliser », reconnaît Mme Fortin. « Mais on nous a dit que ça semblait être moins problématique » depuis la diffusion de la campagne vidéo.

Les Cépafins

Magog n’est pas la seule ville à miser sur les vidéos loufoques pour sensibiliser ses citoyens.

En janvier, Saint-Colomban a diffusé une vidéo dans laquelle son maire, Xavier-Antoine Lalande, lit et commente des messages disgracieux publiés sur la page Facebook de sa municipalité des Laurentides.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO FACEBOOK

Xavier-Antoine Lalande, maire de Saint-Colomban

« Beaucoup de boomers (merdes humaines) dans ce “Villâge” de cosanguins », déchiffre M. Lalande à l’écran.

« C’est pas fin : moi, j’ai beaucoup de famille ici, quand même… mais j’ai pas fait le choix de marier ma cousine », ironise le maire.

Saint-Colomban s’est inspiré des Mean Tweets lus par les vedettes ciblées par des commentaires haineux, comme on en voit dans l’émission américaine Jimmy Kimmel Live.

Repentigny et Mirabel ont repris la formule, baptisée Les Cépafins. Le maire de Mirabel, Patrick Charbonneau, s’y montre particulièrement grinçant à l’égard de la langue des auteurs, pour qui « les travaux publics, ça veau pas grand-chose ».

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO FACEBOOK

Nicolas Dufour, maire de Repentigny

« Pourquoi les sites pornos sont bloqués à la bibliothèque ? Je paye des taxes », lit le maire de Repentigny, Nicolas Dufour, accompagné d’un bruit de criquets. « Ben c’est ça, je pense qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à dire », conclut-il, hilare.

« Il y a d’autres villes qui s’en viennent avec notre concept », s’est réjoui M. Lalande au sortir d’une réunion du conseil de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), il y a une dizaine de jours.

Avis et constats

Beaucoup de municipalités observent une hausse des gestes d’hostilité envers leurs employés, et demandent à ceux-ci de les signaler. C’est ce que fait Magog depuis la fin de 2022. « Entre novembre 2022 et janvier 2024, ce sont 20 cas d’incivilités qui ont été rapportés. Il y en a probablement eu plus », dit Mme Fortin, en précisant qu’il s’agit surtout d’agressions verbales (cris, insultes, propos injurieux ou discriminatoires).

À chacun de ces 20 citoyens, la Ville a envoyé une lettre résumant l’évènement – le directeur général est même allé en porter une en mains propres à un commerçant. Jusqu’ici, personne n’a récidivé.

À Trois-Rivières, la direction des services juridiques a remis quatre avis et deux constats d’infraction l’an dernier. Et « juste depuis le mois janvier, [la Ville] a eu trois courriels qui étaient d’une vulgarité et d’une violence sans nom », nous a indiqué le directeur des services juridiques, MAlex Hamelin, à la mi-février.

En 17 ans à la Ville, MHamelin n’avait jamais rien vu de tel.

On a toujours eu des gens qui peuvent être malpolis ou violents, mais à un niveau si élevé de fréquence et de vulgarité, c’est particulier.

MAlex Hamelin, directeur des services juridiques de Trois-Rivières

La cour municipale a récemment mis à l’amende un citoyen qui avait tenu « des propos extrêmement misogynes » à une évaluatrice municipale. « On pourrait négocier […] avec un combat dans la bouette, les femmes, vous êtes bonnes là-dedans », avait-il notamment proposé.

« Même si pour le citoyen il s’agissait de “blagues”, ce qu’il faut analyser, ce sont les paroles en soi et le contexte dans lequel elles sont prononcées », a indiqué le juge, dans une décision orale citée par MHamelin.

Des fonctionnaires trifluviens ont aussi reçu des menaces de mort à deux reprises au cours des dernières années. Le premier accusé a plaidé coupable et reçu une absolution conditionnelle en 2017. Le second est en attente de son procès.

Les policiers ne sont pas toujours appelés pour des cas aussi dramatiques.

« Avant Noël un citoyen est venu porter ses ordures directement à l’hôtel de ville », raconte le maire de Saint-Colomban. Les sacs contenaient « des informations personnelles, donc ç’a été assez facile de retrouver son adresse ». « On s’est assurés de les lui renvoyer avec le service de police. »

Comme beaucoup de municipalités, Saint-Colomban s’est doté d’une politique de tolérance zéro. L’amende peut atteindre 273 $ avec les frais, mais seulement cinq constats ont été remis en un peu plus de cinq ans. « Les cas mineurs, on les laisse faire, […] mais on s’est quand même donné le moyen pour le jour où on considérerait que la ligne était dépassée. »

Un inspecteur municipal, simplement arrêté à une intersection dans un véhicule de la Ville, s’est déjà fait invectiver par le chauffeur d’une camionnette « disant qu’il était pour le viser comme un chevreuil ». Il n’y a pas eu de plainte.

« Ce sont des cas d’exception », souligne le maire, comme tous les intervenants municipaux à qui nous avons parlé. Mais comme plusieurs, M. Lalande constate « un niveau d’intolérance, de fatigue d’agressivité » qu’il n’avait pas vu depuis ses débuts en politique, en 2013.

Les villes, comme tous les employeurs, sont tenues de fournir un milieu de travail exempt de violence (voir autre texte).

Une sortie publique suffit parfois à calmer les esprits.

En août dernier, la mairesse de Saint-Urbain, dans Charlevoix, a annoncé que les demandes présentant « des caractéristiques d’incivilités » ne seraient plus traitées. « [Depuis] j’ai trop d’une main pour calculer le nombre de fois où on a demandé poliment aux gens de nous rappeler quand ils seraient moins fâchés », résume le directeur général, Martin Guérin.

Même son de cloche à Amherst, dans les Laurentides, où un « citoyen violent » s’expose à des mesures allant d’un avertissement à une plainte à la police. Depuis l’annonce de cette politique, en août 2021, un seul avertissement écrit a été remis, témoigne le directeur général, Martin Léger.

« Un retour d’une certaine agressivité, principalement au téléphone, un peu au comptoir » a toutefois donné lieu à un rappel récent sur Facebook.

IMAGE TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA MUNICIPALITÉ D’AMHERST

Publication de la municipalité d’Amherst

Un citoyen en a profité pour décrier « la fille qui es au contoir [sic] » et le déneigement « pas sa coche [sic] ».

« Nous allons laisser le commentaire pendant encore quelques jours afin de montrer à ceux qui ont appuyé la démarche de quoi nous parlons exactement. L’exemple est plutôt éloquent ! », nous a indiqué le DG.

Voyez une vidéo de la Ville de Saint-Colomban Voyez une vidéo de la Ville de Mirabel Voyez une vidéo de la Ville de Repentigny Voyez une vidéo de la Ville de Trois-Rivières Voyez des vidéos de la Ville de Magog