Képi, uniforme, main droite levée : Daniel Dufour avait presque l’air d’une recrue comme les autres en prêtant serment pour devenir policier, en octobre dernier. Mais avec ses 59 ans et ses cheveux poivre et sel, il aurait pu être le père de la plupart de ses nouveaux collègues. Et il avait déjà « 34 ans de police » au compteur.

L’homme est l’un des 63 policiers réservistes réembauchés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) depuis la création de ce nouveau statut, il y a un an. Un moyen de pallier les difficultés importantes de recrutement de l’organisation et d’envoyer des renforts aux agents épuisés par les heures supplémentaires.

« Je ne pensais jamais avoir la chance de revenir dans la police », explique Daniel Dufour, dans une salle d’interrogatoire du centre opérationnel Ouest.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le policier réserviste Daniel Dufour

Il y en a qui jouent au golf, il y en a qui vont à la pêche. Moi, je fais de la police. Et du golf.

Daniel Dufour

Le bureau grouille de vie, avec des enquêteurs qui entrent et qui sortent, discutent à voix haute de leurs dossiers. Une photo de suspect a été rayée de lignes noires pour célébrer son emprisonnement. Une blague salace est affichée sur une feuille de papier qui pend du plafond. Une ambiance à mille lieues de la retraite paisible à laquelle Daniel Dufour aurait eu droit après une carrière bien remplie.

Il occupe maintenant un rôle de mentor et de soutien à une équipe de huit enquêteurs, dont quatre ont été promus d’un coup. « Je pense que j’avais plus d’expérience que les huit additionnés », dit-il en riant. Cinquante-neuf ans, « pour la police, c’est vieux ».

Des critères restrictifs

S’ils ne sont jamais officiellement chargés d’une enquête, les réservistes ont les mêmes pouvoirs et les mêmes obligations que les autres policiers du SPVM, explique la lieutenante Lyne Labelle, responsable du programme des réservistes. Ils sont qualifiés pour le tir et portent une arme de service à la ceinture.

Dans une salle de réunion du quartier général, elle détaille les critères d’embauche actuels : il faut avoir été policier au SPVM pendant 30 ans, avoir pris sa retraite depuis moins de trois ans et être recommandé par ses anciens patrons.

Mais « il faut faire attention : ce n’est pas parce que tu as été policier pendant 30 ans qu’on va te réengager comme réserviste », dit-elle.

Il y a vraiment un processus qui est mis en place, plusieurs vérifications qui sont faites.

La lieutenante Lyne Labelle

Des réservistes font de l’aide à l’enquête, d’autres peuvent remplacer des brigadiers scolaires ou être déployés pour encadrer des évènements festifs – pas les manifestations qui risquent de tourner à l’émeute. Certains accompagnent des victimes à la cour, libérant un policier ordinaire. Ils sont payés entre 60 et 64 $ l’heure, en vertu de la convention collective conclue avec la Fraternité.

Le SPVM exige un minimum de 10 jours de disponibilité par année, mais la plupart des réservistes travaillent beaucoup plus souvent.

Daniel Dufour, lui, fait trois ou quatre jours par semaine. Il s’absente parfois durant de longues périodes pour voyager.

« J’ai voulu voir ce que c’était, la retraite, et j’ai savouré ça pendant deux ans et demi, continue le policier. J’espérais ne pas juste être affecté à des tâches administratives, je voulais être impliqué, et j’ai été servi à souhait. »

« Les besoins sont criants »

Parce que le policier est plongé dans l’action. Dans la nuit du 8 au 9 novembre dernier, un coup de feu est tiré sur l’école juive Yeshiva Gedola, dans Côte-des-Neiges. C’est la troisième journée de Daniel Dufour comme réserviste.

Le policier saute dans la voiture avec sa collègue responsable de l’enquête. Les photos de La Presse de ce jour-là les montrent arriver sur la scène de crime, masqués en raison d’une éclosion de COVID-19 dans l’équipe.

Mon rôle, c’était de la préparer, de la diriger et de lui donner des conseils. C’est là que je me suis dit que j’avais pris la bonne décision. Que j’allais pouvoir contribuer et vraiment apporter un soutien.

Daniel Dufour

En février dernier, le policier a mené lui-même l’interrogatoire d’un suspect dans un dossier d’agression à l’arme à feu. « J’ai été très chanceux, ça a fonctionné. En dedans d’une heure quarante, j’avais eu tous les aveux », se souvient-il.

Le patron du centre opérationnel Ouest, le commandant Denis Tessier, se réjouit justement de pouvoir lui confier « des interrogatoires plus difficiles, parce qu’il a un taux de succès qui est vraiment très, très élevé ». « C’est un expert en interrogatoires », ajoute-t-il.

« On a de la misère à aller chercher des policiers en ce moment pour l’embauche, de manière générale, a-t-il dit. Les besoins sont criants. »