(Ottawa) L’envoyée spéciale du Canada pour la lutte contre l’antisémitisme se dit « très intéressée » d’explorer l’idée de supprimer la religion comme moyen de défense possible contre les accusations de discours de haine.

Deborah Lyons, dont le titre inclut également la préservation de la mémoire de l’Holocauste, a comparu jeudi matin devant une commission parlementaire qui étudie l’antisémitisme sur les campus universitaires.

Les dirigeants, étudiants et professeurs juifs ont exprimé leurs inquiétudes face à l’augmentation des discours de haine et de la violence depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas l’automne dernier.

Mme Lyons estime que les stratégies d’équité, de diversité et d’inclusion des universités « font défaut aux Juifs de ce pays », et elle dit que son bureau s’efforce de développer une meilleure formation sur la lutte contre l’antisémitisme.

Les députés ont interrogé Mme Lyons sur le rôle que jouent la police et les procureurs dans le dépôt d’accusations pour discours haineux et sur la nécessité d’apporter des modifications au Code criminel.

Ils ont souligné la récente décision des procureurs du Québec de ne pas inculper l’imam montréalais Adil Charkaoui pour des propos tenus lors d’une prière. L’envoyée spéciale affirme avoir des discussions avec le gouvernement à ce sujet.

Le discours prononcé lors d’une manifestation propalestinienne à Montréal, l’automne dernier, a donné lieu à une plainte alléguant des menaces et une incitation à la violence, qui a fait l’objet d’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada.

Lors d’une prière en arabe, l’imam Charkaoui avait appelé Dieu à « se charger des sionistes agresseurs ». « Ô Dieu, assure-toi de n’en laisser aucun », avait-il déclaré.

Dans un communiqué de presse la semaine dernière, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) au Québec a annoncé qu’un comité composé de trois procureurs de la Couronne avait conclu que les preuves n’étaient pas suffisantes pour prouver hors de tout doute raisonnable que les paroles prononcées constituaient une incitation à la haine envers un groupe identifiable, tel que défini dans le Code criminel.

Prenant ce cas comme exemple, le député du Bloc québécois Rhéal Fortin a demandé à Deborah Lyons si elle appuyait la proposition de son parti d’éliminer un article du Code criminel qui permettrait l’utilisation de croyances religieuses ou d’un texte religieux comme moyen de défense contre la promotion de la haine et de l’antisémitisme.

Le Code criminel stipule que les personnes ne devraient pas être reconnues coupables de fomentation volontaire de la haine ou de l’antisémitisme – définie comme la minimisation ou la négation de l’Holocauste – si, « de bonne foi », elles ont exprimé une opinion « sur un sujet religieux » ou « fondée sur un texte religieux » auquel elles croient.

M. Fortin affirme que son parti veut interdire les exceptions aux discours haineux fondées sur la religion.

« Je pense certainement que c’est quelque chose que nous devons continuer à examiner », a déclaré Deborah Lyons. Elle s’est dite « très intéressée à explorer cette option », étant donné qu’elle estime que la défense ne « tient pas le coup en ces temps très difficiles ».

Elle a néanmoins déclaré qu’elle n’était pas prête à donner un avis final sur la question et qu’elle en discutait toujours avec des responsables du ministère de la Justice.

Le bureau du ministre de la Justice, Arif Virani, n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires.

Il cherche déjà à augmenter les peines existantes pour les infractions motivées par la haine – y compris en augmentant la peine maximale en cas d’encouragement au génocide jusqu’à l’emprisonnement à vie – dans le projet de loi libéral contre les préjudices en ligne, déposé en février.

Les réformes plus strictes de la justice pénale ont été passées au peigne fin par les critiques, notamment des groupes de défense de la liberté civile, qui affirment qu’elles pourraient étouffer la liberté d’expression. Les responsables de la justice affirment que des accusations criminelles ne seraient portées que dans les cas extrêmes.

Dans le cas des commentaires de l’imam Charkaoui, Marco Mendicino, député libéral, a déclaré qu’il trouvait la décision du DPCP de ne pas porter d’accusations « incompréhensible et profondément problématique ».

Les propos de l’imam Charkaoui sont « peut-être l’une des infractions les plus flagrantes que j’ai jamais vues », a-t-il déclaré jeudi devant la commission.

M. Mendicino, un ancien procureur qui a été ministre de la Sécurité publique, a également cité d’autres exemples de manifestants scandant des propos offensants, notamment glorifiant les attaques du Hamas du 7 octobre.

Il estime que les « sionistes » correspondent à la définition de groupe identifiable du Code criminel, qui fait référence à « toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre ou la déficience mentale ou physique ».