(Ottawa) Plus des trois quarts des 70 incendies de forêt qui brûlent déjà dans l’ouest et le nord du pays ont débuté en 2023 et ne se sont jamais éteints. Les températures anormalement chaudes et le peu de précipitations font craindre une saison précoce cette année. À Ottawa, le gouvernement se prépare depuis janvier, cinq mois plus tôt que prévu.

Ce qu’il faut savoir

En 2023, le Canada a connu sa pire saison d’incendies de forêt.

Ils avaient ravagé 15 millions d’hectares.

Cette année, 70 incendies brûlent déjà dans l’ouest et le nord du pays, dont certains ne se sont jamais éteints durant l’hiver.

« Beaucoup d’entre eux sont des incendies persistants de 2023 qui ont couvé pendant l’hiver chaud et sec que nous avons connu et qui sont devenus plus actifs à mesure que le printemps avance », a expliqué Michael Norton, directeur général du Centre de foresterie du Nord du ministère des Ressources naturelles, lors d’une séance d’information mercredi.

En tout, ce sont 55  incendies de 2023 sur les 70 foyers actifs qui brûlent dans le nord de la Colombie-Britannique, le nord de l’Alberta et le sud des Territoires du Nord-Ouest.

« Il existe des couches organiques plus profondes, soit la tourbe, qui peuvent atteindre une profondeur de 40 centimètres ou plus. Et ce qui se passe, c’est que le feu peut couver sous terre à environ 10, 20 ou 30 centimètres alors qu’il y a encore de la neige au sol », explique le professeur Mike Flannigan, de l’Université Thompson Rivers en Colombie-Britannique, spécialisé dans l’étude des incendies de forêt.

« Il brûle très lentement, mais continue de brûler tout l’hiver si les conditions sont favorables », ajoute-t-il.

C’est ce qui est arrivé lors de l’incendie de 2016 qui a ravagé Fort McMurray, en Alberta. Il a seulement été éteint complètement l’été suivant, en 2017.

Des incendies en dormance

Cette année, on a déjà pu voir de la fumée traverser des autoroutes en plein hiver dans le nord de la Colombie-Britannique, signe que ces foyers souterrains sont nombreux, fait remarquer le professeur Mike Flannigan.

Il note que ces incendies en dormance sont fréquents et qu’ils ne sont généralement pas un problème, mais ils pourraient rapidement le devenir cette fois. Les feux l’an dernier étaient nombreux et atteignaient parfois « la superficie de l’Île-du-Prince-Édouard », laissant derrière eux beaucoup de ces « points chauds ».

[Les incendies en dormance] peuvent se propager si le vent se lève et que le temps est chaud et sec.

Mike Flannigan, professeur à l’Université Thompson Rivers en Colombie-Britannique

Le spécialiste ne s’attend toutefois pas à revoir une saison aussi dévastatrice que celle de l’an dernier « de son vivant ».

Quoi qu’il en soit, le gouvernement se prépare à une saison équivalente sinon pire. « Nous pouvons nous attendre à ce que la saison des incendies de forêt commence plus tôt, se termine plus tard et soit potentiellement plus explosive », a affirmé sans détour le ministre de la Protection civile du Canada, Harjit Sajjan, lors d’une conférence de presse pour faire le point sur la situation.

D’autres incendies risquent de se déclencher dans l’ouest du Québec, le nord de l’Ontario, dans les Prairies et dans l’est et le sud de la Colombie-Britannique avec les températures plus chaudes que la normale et le peu de pluie et de neige qui est tombée au sol durant l’hiver.

Onze province et territoires se sont entendus avec le gouvernement fédéral pour obtenir une part des 256 millions sur cinq ans alloués dans le budget de 2022. Le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, avait bon espoir mercredi de s’entendre avec le Québec bientôt.

Leçons tirées

Le Canada a connu la pire saison des incendies de forêt l’an dernier, qui ont détruit 15 millions d’hectares et mené à l’évacuation de 230 000 personnes. En tout, 6623 foyers d’incendie avaient été répertoriés dans l’ensemble du pays.

« On a appris des leçons de l’année passée et on fait des choses différemment cette année », a reconnu la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu.

L’an dernier, 82 communautés autochtones un peu partout au pays ont dû être évacuées en raison des incendies de forêt. La Presse avait visité en mai celle de Sturgeon Lake, en Alberta, où des dizaines de maisons avaient été rasées par les flammes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Destruction dans la communauté crie de Sturgeon Lake, en Alberta, lors des incendies de forêt au printemps 2023

Le gouvernement a annoncé mercredi 166,2 millions au cours des cinq prochaines années pour aider les Premières Nations à faire face aux catastrophes naturelles. Le programme de paiements anticipés pour permettre aux communautés autochtones de se préparer est étendu à l’ensemble du pays. Le gouvernement fédéral financera également 48 postes de coordonnateurs pour la gestion des urgences, soit un dans chacune des communautés autochtones de l’Alberta pour effectuer ce travail de préparation. Cela porte le nombre total de ces coordonnateurs à 248 à l’échelle du pays.

Par ailleurs, le gouvernement doublera le crédit d’impôt pour les pompiers volontaires et les bénévoles en recherche et en sauvetage dans son prochain budget. Ce crédit passera ainsi de 3000 $ à 6000 $ dès 2024. Cette mesure vise à remettre 900 $ dans les poches des pompiers bénévoles qui œuvrent dans les petites communautés. Le gouvernement estime qu’elle coûtera en tout 105 millions sur six ans.

Attaques contre Poilievre

Les quatre ministres du gouvernement Trudeau présents à la conférence de presse se sont attaqués à plusieurs reprises au chef conservateur, Pierre Poilievre, et à son offensive contre la taxe sur le carbone. Ils ont souligné à plusieurs reprises le lien entre les changements climatiques et l’ampleur des incendies de forêt.

« Pourquoi faut-il encore débattre au Canada de la réalité des changements climatiques ? », a demandé le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.

Les conservateurs voulaient faire adopter une motion pour forcer la tenue d’une rencontre des premiers ministres sur la taxe carbone et les autres mesures qui pourraient être mises en place pour lutter contre les changements climatiques. Ils considèrent qu’elle représente « un fardeau financier » pour les Canadiens, mais omettent de mentionner que le gouvernement envoie un chèque pour compenser son coût.

Une version modifiée de la motion, qui reconnaît que le Québec a son propre système, a été adoptée à 173 contre 149 grâce à l’appui du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique. Les conservateurs laissent entendre depuis des mois que la taxe carbone fédérale s’applique au Québec même si celui-ci a son propre marché du carbone conjointement avec la Californie.

La motion stipule que la rencontre des premiers ministres doit avoir lieu dans un délai de cinq semaines. Elle est toutefois non contraignante.