Depuis cette semaine, les détenus du pénitencier de Drummondville peuvent consommer des drogues sous la supervision du personnel médical, prêt à intervenir en cas de surdose. Il s’agit d’une première au Québec.

Le programme, qui vise à combattre le fléau des surdoses dans les établissements carcéraux, a été mis sur pied par le gouvernement fédéral.

Implanté il y a cinq ans au pénitencier de Drumheller, en Alberta, il a été élargi mercredi à l’Établissement Drummond.

Les détenus pourront désormais s’injecter des drogues sous la supervision de professionnels de la santé chargés d’intervenir en cas de surdose, mais aussi d’offrir un accompagnement psychosocial.

Il s’agit du seul programme de ce genre dans le milieu carcéral connu dans le monde, a indiqué par courriel Service correctionnel Canada (SCC).

Le service est actuellement offert dans deux autres pénitenciers au pays, soit à Collins Bay, en Ontario, et à Springhill, en Nouvelle-Écosse. Au total, 96 détenus y ont eu recours depuis 2019.

« C’est un pas dans la bonne direction », estime Alexandre Berthelot, directeur des services communautaires chez Cactus Montréal.

Peu importent les efforts déployés pour éliminer la drogue en prison, des détenus trouveront toujours le moyen de consommer, fait-il valoir.

« Aussi bien être pragmatique et rendre ça le plus sûr possible », plaide M. Berthelot, dont l’organisme a été consulté en vue de l’implantation du programme au pénitencier de Drummondville.

Une « zone d’amnistie »

La possession et la consommation de substances illicites sont illégales dans les établissements carcéraux.

Les drogues destinées à être utilisées dans le cadre du programme seront considérées comme de la contrebande jusqu’à ce que les participants entrent dans la « zone d’amnistie ».

Une fois à l’intérieur, les détenus ne seront pas assujettis à des protocoles de fouille outre ceux exigés par le service de prévention des surdoses.

Dans le meilleur des mondes, « il n’y aurait aucune drogue entre les murs », estime Frédérick Lebeau, vice-président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada.

Toutefois, les établissements carcéraux n’échappent pas à la crise des opioïdes qui sévit partout au pays. Ces dernières années, les drogues circulent davantage entre leurs murs. Et les surdoses augmentent.

« Avec le manque d’outils qu’on a actuellement, ça devient très difficile à gérer », observe M. Lebeau.

De manière générale, le syndicat accueille positivement l’arrivée du programme, même si des réticences persistent chez les agents correctionnels, d’abord formés pour déceler la drogue.

« Se droguer pendant toute sa peine et ressortir sans avoir fait de traitement [de désintoxication], c’est un peu contradictoire avec ce qu’on fait au quotidien », illustre Frédérick Lebeau.

N’importe qui ne pourra participer au programme. Pour y être admis, les détenus devront déposer une requête à un professionnel de la santé, ce qui pourrait constituer un obstacle, estime Alexandre Berthelot.

« Je me mets dans la position d’un détenu, et je me dis qu’il pourrait craindre de devenir la cible de fouilles plus fréquentes », dit-il.

75 %

Pourcentage des détenus déclarant avoir des antécédents de toxicomanie lors de leur admission dans un établissement carcéral.

Source : Service correctionnel Canada

Échange de seringues

Depuis la mise en œuvre du programme, une réduction du nombre de surdoses et d’hospitalisations en lien avec la consommation de drogue a été observée au pénitencier de Drumheller, selon SCC.

« Le SCC continue de surveiller les données tandis que ce service est mis en œuvre dans d’autres établissements », indique l’organisme.

Dans les dernières années, plusieurs programmes de prévention et de réduction des méfaits ont été mis en place afin de prévenir les surdoses dans les pénitenciers fédéraux.

Parmi eux, un programme d’échange de seringues permettant aux détenus d’avoir accès à du matériel stérile pour s’injecter des drogues.

« Dans ce cas-là, le détenu consomme dans sa cellule, seul. Ça pose vraiment un problème de sécurité. On est contre cette approche-là », souligne Frédérick Lebeau.

Selon lui, le programme de prévention des surdoses est une meilleure solution. « On est certain qu’en cas de surdose, le détenu sera pris en charge immédiatement », dit-il.

Malgré tout, il en faudra plus pour enrayer le fléau des drogues dans les prisons, croit le syndicat.

« Ça prend des outils, des scanneurs corporels pour détecter la drogue. Plus il y a de drogue, plus le niveau de violence augmente. Ça déstabilise tout l’écosystème carcéral », plaide M. Lebeau.